Catégorie : In memoriam

Bernard Pivot (1935 – 2024)

Bernard Pivot est surtout connu pour avoir été  l’animateur d’Apostrophes (1975-1990 : 724 émissions) et de Bouillon de culture  (1991-2001 : 407 émissions), deux émissions littéraires de qualité diffusées à une heure raisonnable.
Elève médiocre sauf en français, en histoire et en sport, il se tourna vers le journalisme après ses études en entrant en 1955 au Centre de formation des journalistes, à Paris. Après un stage au Progrès de Lyon et un an sabbatique au cours duquel il composa un premier roman, L’Amour en vogue (Calmann-Lévy, 1959), il entra en 1958 au Figaro littéraire. Il y resta quinze ans, jusqu’à un différend qui l’opposa à Jean d’Ormesson, directeur général du Figaro à l’époque. Bernard Pivot fut aussi chroniqueur littéraire au Journal du dimanche de 1992 à 2022.
Il créa le magazine Lire en 1975, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, au moment où il lançait Apostrophes, une émission littéraire hebdomadaire, qui trouva immédiatement son public (entre 2,5 millions et 6 millions d’auditeurs). A une époque où la culture se démocratisait , Bernard Pivot réussit dans son émission à opérer un lien entre un public populaire et élitiste. Nombreux furent les écrivains qui aspirèrent  à participer à ce rendez-vous pourvoyeur de notoriété et de ventes, à l’exception d’irréductibles tels Gracq, Cioran, Beckett ou Genet. On aurait toutefois souhaité que certains ne soient pas invité, comme Matzneff, dont les moeurs et les écrits ne méritaient pas une telle reconnaissance (il fut invité six fois). Le 2 mars 1990, la seule personne a dire son fait à ce criminel durant l’émission fut une femme, Denise Bombardier et Bernard Pivot ne se couvrit pas d’honneur à cette occasion.
L’émission  fit la pluie et le beau temps sur le marché du livre :  en 1983, une enquête Ipsos a établi qu’un tiers des achats de livres en France étaient dus à Apostrophes. Ce « pouvoir » pris par un seul homme inquiéta jusqu’au pouvoir politique et le conseiller culturel de François Mitterrand, Régis Debray déclara en 1981 : « Nous avons des projets : enlever à une émission le monopole du choix des titres et des auteurs, accordé à l’arbitraire d’un seul homme qui exerce une véritable dictature sur le marché du livre. » En 1990, Bernard Pivot décida d’arrêter l’émission, fatigué par les dix à douze heures de lecture quotidiennes nécessaire à sa préparation. 
Mais le démon de la télévision et du partage de la littérature le rattrapa dès 1991 avec Bouillon de culture. Mais le magazine ne retrouva jamais les audiences d’Apostrophes et se vit déplacé dans la grille des programmes, passant du dimanche au vendredi soir. Bernard Pivot prit sa retraite de la télévision en juin 2001, pour se consacrer à l’écriture et au Prix Goncourt dans le jury duquel il entra en 2004  et contribua à en réformer les statuts en 2008, avant de devenir le président  de 2014 à 2019.

D’après un article du Monde.

Paul Auster (1947 – 2024)

Paul Auster a eu une enfance typiquement américaine dans le New Jersey, sur fond de guerre froide et de conquête spatiale, comme il le disait lui-même. Il s’est enthousiasmé très jeune pour le base-ball, un futur thème-clé de son œuvre (ce sera d’ailleurs le thème central du premier livre qu’il essaiera de faire publier, sans succès) et il y attribuait la naissance de son envie d’écrire. Passionné de littérature également, notamment française, qu’il étudia à l’université Columbia de New York, il fit plusieurs séjours à Paris en 1965 et 1967 avant de s’installer en France en 1971 pour quatre ans. Il y vécu de petits boulots, rencontra des peintres et des poètes comme Jacques Dupin, en traduisit certains et écrivit des poèmes lors d’une période centrale à la construction et à la compréhension de oeuvre. De retour à New York,  il se mit à rédiger des articles de critique littéraire, à traduire différents auteurs français  (Mallarmé, Sartre et Simenon) tout en écrivant des pièces de théâtre.
La mort soudaine de son père, en 1979, fut un choc mais aussi un déclic littéraire. Trois semaines après, il couchait en effet sur le papier les premières phrases de L’Invention de la solitude, son premier succès littéraire. En 1981, il rencontra Siri Hustvedt, lors d’une lecture dans une librairie, avec qui il vécu jusqu’à sa mort. L’Invention de la solitude, le roman policier Fausse balle signé Paul Benjamin, et un recueil de textes critiques, L’Art de la faim furent publiés en 1982.
Paul Auster s’installa assez lentement dans le paysage littéraire américain. Tout en obtenant un poste de professeur d’écriture et de traduction à Princeton, il publia ce qui deviendra la Trilogie new-yorkaise. Suivirent Le Voyage d’Anna Blume, Moon Palace (qui lui apporta la reconnaissance aux Etats – Unis) et La Musique du hasard. 
Il s’imposa alors comme un auteur américain majeur, y compris à l’étranger. En tout, il publia une quarantaine de livres (romans, essais, théâtre, poésie, scénarios…) jusqu’au roman Baumgartner, en 2024. Il s’est aussi essayé au cinéma en signant les scénarios des films chorales Smoke et Brooklyn Boogie (1995), avant de réaliser en 1998 Lulu on the Bridge et La Vie intérieure de Martin Frost en 2007.
Découvert, je crois, par l’intermédiaire du Magazine Littéraire en 1990, Paul Auster est un auteur qui a compté pour moi, même si je me suis détaché de lui pour ses derniers livres. J’apprécie sa langue limpide et précise, ses personnages souvent perdus, les intrigues complexes de ses livres, prétextes à des mises en abîme autour de la littérature et du travail d’écrivain ,et ses thèmes récurrents.

Avec l’aide d’un article du Monde.fr

crédit photo : Internet
Une émission des Midis de Culture qui lui rend hommage.
Un épisode des Masterclasses consacré à l’écrivain en 2018.

Robert Badinter (1928 – 2024)

Paris, le 20 septembre 2021. Robert Badinter chez lui.

Issu de la grande bourgeoisie, cet homme  qui se définissait comme « républicain, laïc et juif » a été trente ans avocat, cinq ans garde des sceaux, neuf ans président du Conseil constitutionnel et seize ans sénateur.
En février 1943, Robert Badinter échappa à la déportation, ordonnée par Klaus Barbie le chef de la Gestapo lyonnaise, avec une partie de sa famille. Mais son père fut déporté d’abord à Drancy puis au camp de Sobibor, dont il ne revint pas. Il avait fui les pogroms de la Moldavie russe en 1919. Un commissaire de police donna de fausses cartes d’identité à Robert Badinter, son frère et sa mère qui se cachèrent à Cognin, un village savoyard qui les accueillit et les protégea.
Après la guerre la famille retourna à Paris, qu’elle avait fui pour Lyon, où l’appartement des Badinter était occupé par un collaborateur, qui refusa de le rendre jusqu’au verdict d’un procès qui dura un an.
Robert Badinter s’inscrivit en sociologie, obtint une bourse d’un an à l’université Columbia. Il y découvrit le poids du droit dans la société américaine et le bouclier qu’il offrait contre les excès du pouvoir.
De retour à Paris, il s’inscrivit en droit, obtint son doctorat en 1952, puis l’agrégation de droit privé en 1965. En 1950, il passa le certificat d’aptitude à la profession d’avocat et entra chez un avoué, où il fut affecté à l’écriture de fausses lettres de rupture ou d’insultes, censées fonder une décision de divorce. C’est alors qu’il rencontra Henry Torrès, brillant avocat au pénal qui devint son « maître ».
Quand celui-ci abandonna la robe, en 1956, Badinter dût se trouver une clientèle. Il défendit les intérêt de Jules Dassin, cinéaste américain qui a fui le maccarthysme, prospéra dans le droit d’auteur, avant de s’associer pour créer un cabinet en 1966 dans lequel il défendit les intérêts de Charlie Chaplin, Brigitte Bardot, Roberto Rossellini, Coco Chanel, Raquel Welch ainsi que le magazine L’Express ou l’éditeur Fayard.
En 1973, il fut amené à défendre François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste, poursuivi en diffamation par le neveu du général de Gaulle, qui risquait une privation des droits civiques d’un à trois ans juste avant le premier tour des législatives. Robert Badinter parvint à faire repousser le procès.
Badinter était cependant d’abord un avocat d’affaires et n’a plaidé dans toute sa carrière qu’une vingtaine de fois aux assises, dans sept affaires de peine capitale en France, et deux à l’étranger (il évita la peine de mort à six d’entre eux). Mais il était un abolitionniste convaincu et fit de ce combat une affaire personnelle.
En 1981, Robert Badinter fut nommé ministre de la justice (garde des sceaux) par François Mitterrand. Outre l’abolition de la peine de mort, son oeuvre majeure, il s’employa à restaurer les libertés publiques malmenées en faisant supprimer le délit d’homosexualité, instauré sous Vichy, et la Cour de sûreté de l’Etat, créée durant la guerre d’Algérie. Il fit abroger la loi « anticasseurs », héritage de Mai 68 et la loi Sécurité et liberté, votée pour répondre à l’augmentation de la délinquance dans les années 70. Il réforma aussi la médecine carcérale, supprima les quartiers de sécurité et améliora le sort des détenus.
En 1986, il fut nommé président du Conseil constitutionnel par le président Mitterrand. Il inscrivit sur un carton, posé en permanence sur son bureau : « Une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise ; une loi mauvaise n’est pas nécessairement inconstitutionnelle. » A la tête du Conseil constitutionnel, Robert Badinter rêva d’autoriser les simples citoyens à contester la constitutionnalité des lois, mais il fallait pour cela réformer la Constitution, et François Mitterrand, enlisé dans la cohabitation, ne le voulait pas. Il lui faudra attendre la révision constitutionnelle de 2008, imposée par le président Nicolas Sarkozy, pour voir le projet mené à bien. En 1989, il fut invité par Mikhaïl Gorbatchev, pour réfléchir, avec des juristes russes, à une nouvelle Constitution. Durant cette période, il écrivit avec sa femme une biographie de Condorcet et une pièce de théâtre sur Oscar Wilde, intitulée C.3.3., qui était le numéro de prisonnier d’Oscar Wilde, condamné en 1895 pour homosexualité.
Lorsqu’il quitta le Conseil constitutionnel en 1995, ce fut pour devenir sénateur jusqu’en 2011. Au palais du Luxembourg, il siégea à la commission des lois où il plaida, pour l’honneur, au respect des libertés fondamentales, en ferraillant contre tous les ministres de la justice.
A la fin de sa vie, Robert Badinter publia Théâtre I, un recueil de trois pièces. La première est celle sur Oscar Wilde, la deuxième imagine le dialogue de Pierre Laval, à la veille de son exécution, avec René Bousquet (Cellule 107), inspiré des procès des deux hommes ; la dernière traite du ghetto de Varsovie (Les Briques rouges de Varsovie). Il écrivit aussi Idiss, l’histoire de sa grand-mère, immigrée et analphabète.

D’après un article du Monde.

“Partout dans le monde, et sans aucune exception, où triomphent la dictature et le mépris des droits de l’homme, partout vous y trouvez inscrite, en caractères sanglants, la peine de mort”,
Robert Badinter.

Emmanuel Le Roy Ladurie (1929 – 2023)

J’ai évidemment fait la rencontre du travail d’Emmanuel Le Roy Ladurie par la lecture de Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, paru en 1975, que j’ai lu pour mon entrée en Hypokhâgne et qui a connu un succès dépassant de loin la petite sphère des historiens ou apprentis historiens.
Né près de Caen, Emmanuel Le Roy Ladurie appartenait à une famille de la bourgeoisie catholique dont la fortune s’était constituée au le XVIIIe siècle. Son père était un propriétaire terrien, militant du catholicisme social et l’un des promoteurs du syndicalisme agricole, cofondateur de l’Union nationale des syndicats agricoles (UNSA). Après la défaite de juin 1940, le père d’Emmanuel Le Roy Ladurie se rallia à Vichy et Pétain, dont l’idéologie terrienne lui convenait. Il devint même ministre de l’agriculture et du ravitaillement dans le gouvernement Laval en avril 1942, mais quitta son poste en septembre pour entrer en résistance et rejoindre le maquis dans la forêt d’Orléans.
Elevé dans le manoir familial de Villeray, acquis du temps des Lumières, Emmanuel Le Roy Ladurie connut une enfance préservée des menaces du temps. Tout juste se souvenait-il, au fil de ses nombreux témoignages d’« ego-histoire », de l’épisode de l’exode en juin 1940 et de l’indignation des siens face à « ce général qui ose être contre le maréchal », comme, plus tard, du débarquement du 6 juin 1944 et de la réquisition du manoir, transformé en hôpital militaire.
Emmanuel Le Roy Ladurie gagna Paris et le lycée Henri IV pour intégrer une classe préparatoire en octobre 1945. Il échoua au concours d’entrée à Normale-Sup puis s’inscrivit en 1947 au lycée Lakanal, à Sceaux, où il finit par réussir à intégrer Normale-Sup. De son passage à Henri IV, il conserva l’amitié de Denis Richet, ce qui lui permis de rencontrer aussi François Furet, Pierre Nora, Jacques Ozouf, Jacques Le Goff et Maurice Agulhon.
Il adhéra au PCF en 1947, mais il le quitta, comme nombre d’intellectuels, lorsque les troupes soviétiques intervinrent à Budapest à l’automne 1956 pour réprimer l’insurrection hongroise.
Reçu à l’agrégation en 1953, Le Roy Ladurie fut nommé dans un lycée à Montpellier, mais devint rapidement attaché de recherche au CNRS (1955-1960), puis fut nommé à la faculté des lettres de Montpellier (1960 – 1965), avant d’intégrer, repéré par Fernand Braudel, la VIe section de l’Ecole pratique des hautes études, à Paris. Il y devint, dès 1965, directeur d’études et y exerça jusqu’en 1999.
Dans la vogue des sommes régionalistes, il soutint sa thèse sur les Paysans de Languedoc en 1966, publiée dès l’année suivante.
En 1973, il fut élu au Collège de France où il occupa jusqu’en 1999 la chaire Histoire de la civilisation moderne. Nommé en octobre 1987 administrateur général de la Bibliothèque nationale après la démission d’André Miquel, son collègue au Collège de France en poste depuis 1984, qui entendait protester contre le manque de moyens pour remplir sa mission et le désintérêt des pouvoirs publics pour l’institution, Emmanuel Le Roy Ladurie y resta jusqu’au début de 1994.
Après Les paysans du Languedoc et Montaillou, village occitan, Emmanuel Le Roy Ladurie publia, entre autre, Le Carnaval de Romans (1979), épisode oublié des guerres de Religion, puis L’Argent, l’amour et la mort en pays d’Oc (1980), La Sorcière de jasmin (1983) ou enfin, l’ouvrage que je préfère, les trois volumes du Siècle des Platter (1997-2006).

D’après un article du Monde.fr

Pour écouter Emmanuel Le Roy Ladurie, suivez ce lien. 

Bernard Bodinier (1944 – 2023)

J’ai eu Bernard Bodinier comme professeur à l’IUFM. Apprenant son décès, je reprends ici des passages de l’article qui lui a été consacré sur le site des Etudes robespierristes.
Originaire de la Mayenne, Bernard Bodinier a poursuivi ses études secondaires au Mans avant de venir en Normandie. Nommé professeur d’histoire-géographie au Lycée des Fontenelles de Louviers, il y a enseigné pendant plus de vingt ans, initiant les élèves aux recherches démographiques et leur communiquant le goût de l’histoire et des sources. Il s’engagea dans un travail de recherche sous la direction d’Albert Soboul, Directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, puis de Michel Vovelle. Sous leur direction et avec le soutien de Guy Lemarchand et de Claude Mazauric, deux professeurs de l’Université de Rouen, il prépara une thèse de doctorat d’État consacrée à la vente des biens nationaux dans l’Eure, soutenue avec succès en 1988, et qui est devenue le modèle de nombreux travaux de recherches concernant tout le territoire national.
Élu ensuite maître de conférences, puis professeur à l’IUFM de Rouen, il rejoignit le centre de recherche de l’Université de Rouen afin de poursuivre son enquête en réalisant une synthèse consacrée à la vente des biens nationaux dans l’ensemble du pays, publiée en 2000.
A ce travail, il faut ajouter de nombreuses contributions consacrées à l’histoire de l’enseignement, la question laïque, le rôle des institutrices, les politiques scolaires, publiées dans Trames, la revue de l’IUFM rouennais.
Bernard Bodinier s’est également investi dans la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Normandie qu’il présida pendant six ans, de 2007 à 2013.

11 novembre : souvenir du dernier tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale en 1998