A l’heure où viennent de paraitre les manuscrits de guerre de Gracq, Pierre Assouline se fait l’écho d’une inquiétude de l’Institut des textes et manuscrits modernes : avec le numérique, les traces de la création des oeuvres littéraires ont tendance à disparaitre. Il sera bientôt difficile sinon impossible de reconstituer le cheminement de la pensée des auteurs de fictions comme d’essais.
Catégorie : Réflexions
J’ai parfois l’impression de trahir les livres en ce moment. Je lis moins, pour ne pas dire pas du tout. En partie parce que je n’ai pas le temps, il est vrai. Mais aussi parce que j’en éprouve moins le besoin, voire l’envie.
Et pus il y a mes livres, restés dans mon précédent logement et dont je crois qu’ils ne pourront pas tous me suivre dans ce qui va être, qui commence à être, mon nouveau chez moi.
Pour les livres d’histoire et géographie,je vais en garder quelques uns et donner le reste au centre de documentation du lycée où je travaille, je pense.
Pour la bibliothèque fantastique, je vais la disperser chez les amis, s’ils le souhaitent.
L’immense majorité des bandes dessinées resteront où elles sont, pour mes enfants maintenant ou plus tard.
Rete la bibliothèque classique et de policiers : pour elles, j’aimerai trouver une solution.
Et voilà, ma bibliothèque essentielle a migré. Elle tient dans une dizaine de grands sacs et n’attend plus que le meuble que je dois aller chercher demain.
Il va juste manquer les livres d’histoire et géographie et les revues. J’avoue avoir eu un petit pincement au coeur de laisser les autres en place, même s’ils seront loin de m’être inaccessibles.
Ma nouvelle bibliothèque aura beaucoup de place libre… De quoi acquérir d’autres livres.
Et les bandes dessinées ? Elles comptent moins à mes yeux, mais je pense en enmener tout de même. Tous les Andreas, sans doute et les Mignola. Peut-être aussi des romans graphiques ou des histoires réalistes. Ce sera pour moi l’occasion d’épurer cette bibliothèque et de n’en garder que des valeurs sûres.
J’avance dans ma relecture du Matrimoine de Bazin. J’avais lu ce livre à 16 ans et il m’avait laissé une sensation étrange sur les rapports homme/femme ou devrais-je dire mari et femme.
Le relire à 37 ans, à ce moment précis, lui donne un sens nouveau ou plutôt une profondeur que je n’avais pas soupçonnée alors. Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un regard désillusionné sur le mariage.
Il est difficile de résumer Les vestiges du jour, de Kazuo Ishiguro.
Je crois que j’aime l’atmophère anglaise distillée par cette oeuvre, ce charme surannée des demeures aristocratiques du début du siècle. Adolescent, je rêvais bêtement de faire partie de cette noblesse que j’idéalisais (et que Ishiguro idéalise grandement); aujourd’hui, je me rend compte que je me sens plus proche du majordome Stevens et que son style de vie m’aurait convenu.
Le sentiment de cette dignité d’être « à sa place », de faire les choses correctement, voilà ce que j’aimerais approcher, je crois.
Parfois je me demande si je ne me suis pas trompé de siècle en naissant…
Il y a quelque chose de difficile à devoir choisir quels livres emporter, même momentanément, hors de sa bibliothèque.
Je me rends compte que les livres sont mes compagnons de toujours et qu’ils méritent tous de partir avec moi.
Mais soyons réaliste, ce n’est pas possible.
Voici donc ceux que j’ai choisi : En attendant Godot, Histoire du juif errant de d’Ormesson, les nuits de Paris de Restif de la Bretonne, La lectrice, quelques Irving (Le Monde selon Garp, évidemment et probablement Un mariage poids moyen), Les contes et nouvelles de Maupassant en Pléiade, les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal et Manuscrit trouvé à Saragosse de Potoki.
Pour la poésie, j’ai Borges et j’y ajoute les oeuvres de Saint John Perse et Les Contemplations.
Pour le fantastique, parce que cela fait aussi partie de ma vie, le Cycle des épées de Leiber et tout Lovecraft.
Pour les essais historiques, je pense prendre les oeuvres de Duby et Le Goff dans la collection Quarto, le petit ouvrage sur les chevaliers paysans du lac de Paladru et les cours au Collège de France de Michelet. Là encore, la liste n’est pas close mais je dois y réfléchir encore.
Cette fois-ci, le moment est venu de réfléchir sérieusement à quels livres emporter. je vais m’éloigner un peu de ma bibliothèque, mais je veux en emmener un morceau.
Que choisir ?
Il y a les inévitables : tout Borges, tout Auster,tout Gracq. Le Seigneur des anneaux dans l’édition du Livre de Poche, la première que j’ai possédée. Siri Hudsvedt aussi, et Alberto Manguel. Marcel Conche.
Et après ?
Les trois mousquetaires et sa suite, Bouvard et Pécuchet aussi. Un peu de Yourcenar, L’oeuvre au noir au moins. Du Michel Rio, je crois que cela m’ira bien.
Peut-être pourrais-je relire Et si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino ? Et Le Matrimoine de Bazin, ce serait de circonstance !
Je crois que je vais beaucoup relire dans l’année à venir, parce que j’aurais moins les moyens de lire d’abord, mais aussi parce que je suis fondametalement un relecteur.
la liste n’est pas close, je dois y réfléchir encore. Les pianos mécaniques, bien sûr, à ne pas oublier.
Il y en a tant d’autres…
J’ai commencé à lire La presqu’île aujourd’hui, alors que j’attendais une amie à l’hôpital. Le texte s’ouvre sur une magnifique description d’une route, telle que j’aurais aimé en écrire ou en lire au moment de la rédaction de mon mémoire de DEA sur le réseau routier normand.
« Il commençait bizarrement – à la manière de ses fragments de chaussées romaines qui commencent et finissent sans qu’on sache pourquoi au milieu d’un champ, comme une règle qu’on laisserait tomber sur un échiquier (…) »
« C’était une route fossile : la volonté qui avait sabré de cette estafilade les solitudes pour y faire affluer le sang et la sève était depuis longtemps morte, – et mortes même les conditions qui avaient guidé cette volonté ; il restait une cicatrice blanchâtre et indurée, mangée peu à peu par la terre comme par une chair qui se reforme, dont la direction pourtant creusait encore l’horizon vaguement ; un signe engourdi, crépusculaire, d’aller plus avant plutôt qu’une voie – une ligne de vie usée qui végétait encore au travers des friches comme sur une paume. »
J’aime vraiment l’écriture de Gracq. Elle me transporte dans son univers, je suis sur cette route…
Deux citations pour aujourd’hui, qui peuvent aider.
« Les temps sont mauvais
Soyons bons
Et les temps seront bons
Car nous sommes le temps »
(Saint Ignace de Loyola)
« Il en est des livres comme de nos nouvelles connaissances. Au premier moment nous sommes très satisfaits, lorsque nous trouvons en eux des sentiments qui sont conformes aux nôtres, lorsque l’auteur sympathise avec quelque point essentiel de notre existence ; mais lorsque nous faisons plus ample connaissance apparaissent toutes les différences. Et dans ce cas, une conduite sage consiste principalement, non pas à se retirer aussitôt, comme il arrive dans la jeunesse, mais au contraire à s’attacher fortement aux principes sur lesquels on s’accorde, à s’expliquer complètement sur les différences, sans pour cela renoncer à ses opinions. »
(Goethe : Maximes et réflexions, trad. Sigismond Sklover , p.91, Brockhaus et Avenarius, 1842)
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