Voici un document qui tourne sur twitter en ce moment. C’est bien sûr parodique et un peu drôle, mais il y a aussi matière à s’interroger, avec des élèves éventuellement, sur l’objectivité du récit en histoire…. Il manque sans doute Marc Bloch.
Catégorie : Jacques Le Goff
Deux historiens français ont voulu rendre hommage à vingt historiennes de différents pays qui se sont illustrées par l’importance et l’originalité de leur œuvre. Ils ont choisi de faire appel à vingt historiens, chacun présentant, dans une courte monographie, une historienne dont l’enseignement ou la lecture a formé sa propre pensée historique, une collègue ou une amie avec laquelle il a travaillé. Ce livre veut illustrer la manière dont des femmes ont enrichi la pensée historique par l’originalité de leurs méthodes d’analyse et leur manière d’écrire l’histoire.
Carmen Bernand par Serge Gruzinski
Sofia Boesch Gajano par Jacques Le Goff
Catherine Coquery-Vidrovitch par Mamadou Diouf
Natalie Zemon Davis par Denis Crouzet
Chiara Frugoni par Alain Boureau
Hedwig Hintze par Hinnerk Bruhns
Lynn Hunt par Jacques Revel
Christiane Klapisch-Zuber par André Burguière
Annie Kriegel par Marc Lazar
Claude Mossé par François de Polignac
Mona Ozouf par Yann Fauchois
Reyna Pastor par Bernard Vincent
Évelyne Patlagean par Jean-Marie Martin
Michelle Perrot par Dominique Kalifa
Eileen Power par François Olivier Touati
Barbara Stollberg-Rilinger par Christophe Duhamelle
Takamure Itsue par Pierre-François Souyri
Lucette Valensi par François Pouillon
Lucie Varga par Peter Schöttler
Frances Amelia Yates par Jean-Philippe Antoine
Je n’en ai lu que cinq parmi elles, mais je connais encore moins les historiens qui les présentent, à trois exceptions !
« (…) je suis devenu médiéviste en aimant non pas le Moyen Age, mais ceux qui en écrivaient l’histoire. Georges Duby, Jacques Le Goff, d’autres encore : j’aimais lire les livres de ces maîtres de liberté qui installaient leur art de pensée et permettaient de se faire tour à tour anthropologue, sociologue ou géographe de son sujet. Ma génération, à la suite de Michel Foucault, cherchait d’abord à faire l’histoire des problématisations – à se demander, pour chaque époque, « où est le problème ? » –, et à s’interroger sur ce que nous sommes en train de devenir : si notre présent est du passé accumulé, et si ce que l’on nomme Moyen Age est sa couche la plus ancienne mais toujours active, en écrire l’histoire est une autre manière de dire l’aujourd’hui.«
Voici comment Patrick Boucheron répond à la question posée par le magazine Télérama sur le choix de sa profession. Et je trouve cette réponse très belle et juste. Je vous recommande la lecture de cet entretien, très riche.
J’ai trouvé un documentaire vidéo sur l’historien médiéviste Jacques Le Goff, mort récemment, sur le site du CNRS. Cet homme savait parler de l’histoire et des liens étroits entre le passé et le présent.
La revue L’Histoire publie sur son site une série d’articles écrits par l’historien médiéviste ou consacrés à son travail :
– sur son rôle dans l’enseignement de l’histoire ,
– sur « son » Moyen – Age ,
– sur son engagement pour l’Europe,
Il y en aura certainement d’autres que j’ajouterai au fur – et – à – mesure.
L’historien médiéviste Jacque Le Goff est mort ce mardi selon les sites d’information des différents journaux français, a commencé par Le Monde. Retrouvez sur Libération un portrait de « l’ogre historien » rédigé il y a dix ans, pour ses 80 ans. Et un article sur Le Nouvel Observateur.
Sur ce blog, vous pourrez lire un article où je lui souhaitais un bon anniversaire, un autre avec des liens vers un long entretien en vidéo et enfin ici et là deux articles sur son livre A la recherche du Moyen – Age dont je vous recommande la lecture.
Voilà une nouvelle qui me rend bien triste. Vos écrits, vos idées vont me manquer monsieur.
Pour le plaisir, vous pouvez le lire ici, « parler » de ses héros du Moyen – Age qui eux ne meurt jamais…
Le blog Perspectives d’Art reprend un entretien passionnant accordé à l’Express, en mai 2012, par Michel pastoureau, un historien médiéviste. Sa vision du Moyen – Age est assez proche de celle de Jacques Le Goff, sauf peut- être en ce qui concerne sa délimitation.
Je reprend ici la fin de l’entretien qui m’a interpellé.
« Etablir une « concordance des temps » avec ce Moyen Age-là ne va pas de soi. Il est à la fois lointain, donc il garde sa part de mystère, de merveilleux et, en même temps, il est relativement proche, puisque nous vivons encore sur des héritages médiévaux dans beaucoup de domaines, le calendrier, par exemple, mais aussi, bien sûr, dans notre champ visuel, nos églises. Donc il y a à la fois une étrangeté et une familiarité. Et puis il y a les valeurs. Nombre d’entre elles, que l’on professe sans nécessairement les honorer – je pense à la noblesse, à la fidélité, au courage, mais aussi à l’idée de tempérance, à la distinction entre vice et vertu -, tout cela nous vient du modèle de la société chevaleresque ou des enseignements de la théologie médiévale. Y sommes-nous encore fidèles aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Un exemple : le Moyen Age a horreur du mensonge. Ne pas dire la vérité est perçu comme extrêmement grave. Il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas dire la vérité ! Or, il ne me semble pas que cet impératif de vérité, qui est d’ailleurs aussi bien une crainte du mensonge, soit un trait de nos temps modernes ! »

Le blog Histoire Globale propose une analyse du dernier livre de Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, qui me donne assez envie de le lire.
Il donne cette fois-ci un entretien sur le site du Monde.fr. Il y revient sur le rôle de l’histoire et de l’historien :
« Cette collection (Histoire & Civilisations : une publication du Monde en 30 volumes) me paraît répondre à une exigence essentielle de l’édition dans le domaine de l’histoire : mettre à la disposition d’un grand nombre de lecteurs une somme de connaissances qui, sans relever de l’érudition, est nécessaire à l’éducation de l’honnête homme d’aujourd’hui. Cela me semble d’autant plus important que, dans certains pays dont la France fait partie, l’histoire est aujourd’hui en recul dans l’enseignement. Il s’agit là d’une erreur inquiétante, car l’histoire est individuellement et collectivement nécessaire à la compréhension du monde et à notre rôle dans son fonctionnement. »
(…)
« Les historiens peuvent apporter principalement deux choses. La première, c’est la connaissance des héritages. Si je ne crois pas qu’il y ait un sens de l’Histoire, malgré tout, l’histoire vit en partie d’héritages que nous devons connaître pour apprendre à en profiter et savoir les utiliser. D’autre part, la connaissance de l’Histoire et l’esprit historique nous forment à mieux nous servir de ce qui constitue une donnée fondamentale de notre existence individuelle et collective : le temps. Le monde et nous-mêmes, nous évoluons, nous changeons et ces mutations, c’est l’histoire qui les constitue. L’histoire en tant que matière de connaissance est ce qui permet de mettre en perspective les mutations en oeuvre à l’heure actuelle. »
Et sur les notions de culture et civilisation :
« La civilisation repose sur la recherche et l’expression d’une valeur supérieure, contrairement à la culture qui se résume à un ensemble de coutumes et de comportements. La culture est terrestre quand la civilisation est transcendante. La beauté, la justice, l’ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations. Prenez le travail de la terre, la culture va produire de l’utile, du riz, là où la civilisation engendrera de la beauté, en créant des jardins. »
(…)
« Les civilisations sont humaines, ce sont donc les êtres humains ou les institutions qui en favorisent l’éclosion. Mais se pose la question du lieu : où naissent-elles ? La ville est pour moi, sans conteste, le grand foyer de la civilisation. Quant aux personnes, on peut lier la naissance de la civilisation à la volonté de puissance des individus, c’est l’appel et la contrainte qui entourent les puissants qui créent autour d’eux ce désir de rehausser leur prestige et renforcer leur domination. C’est la volonté des pharaons de survivre à la mort par le souvenir qui a donné les pyramides. Les religions sont les plus grands producteurs de civilisations. (…) C’est l’ambition et la recherche de valeurs supérieures qui transforment une culture en civilisation. »
(…)
« Une civilisation met du temps à se créer, àévoluer, à mourir, à se transformer ou à transmettre des héritages. Dans l’histoire et la réflexion sur les civilisations, l’idée d’héritage est fondamentale. Une civilisation est souvent faite de couches ou de dons de valeurs, de traditions qui s’inscrivent dans le temps. Les hommes sont toujours des héritiers.
Il y a une notion dont on a largement abusé, c’est celle de « révolution ». Dans l’histoire de l’humanité, elles sont très rares, et hormis les révolutions française et bolchévique, je vois peu de changements aussi globaux et brutaux »
(…)
« Le problème, c’est celui de l’espace, de l’aire géographique et des relations qu’entretiennent les espaces des civilisations entre eux. Il faut différencier trois états essentiels : le contact, l’échange et la fusion. Le contact, c’est ce qu’il s’est passé pendant les grandes découvertes, dont l’instrument a été le bateau. L’échange a eu lieu entre les pays européens et ceux découverts, se sont créés des échanges commerciaux, mais aussi intellectuels. Et puis arrivera un moment où entre les deux pays en contact et en échange s’opérera une quasi-uniformisation.
Aucune région n’a pour le moment connu cette phase, contrairement à ce que disent certains journalistes et politiciens, notamment avec leur concept d’américanisation du monde. Je crois que ce phénomène de fusion n’existe pas encore, nous sommes toujours dans une phase d’échanges, mais d’échanges inégaux. »
Jacques Le Goff n’aime pas le terme « Moyen – Age », apparu au XIVe siècle sous la plume de l’humaniste italien Pétrarque sous la forme « Medium tempus ». Il regrette, en français, l’évolution dépréciative du mot « moyen » et le mépris pour cette période de l’histoire au XVIIIe et XIXe siècle.
Il fait remonter à l’historien des arts Burckhardt la périodisation que nous utilisons encore, et que collégiens et lycéens apprennent par coeur. Le Moyen – Age commencerait en 476 avec la fin de l’empire romain d’Occident (le sac de Rome par les Hérules) et s’achèverait en 1453 avec la fin de l’empire romain d’Orient (le sac de Byzance par les Turcs). Mais il conteste et trouve ridicule cette délimitation.
Jacques Le Goff préfère parler d’une civilisation de l’Occident médiéval : « nous sommes face à une civilisation ; face à un corps d’une forte cohérence. Cela s’organise à partir des VIe et VIIe siècles, se parachève autour du XIIIe siècle pour se défaire peu à peu au fil des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. Je préfère d’ailleurs ce mot de corps, très médiéval, à celui de système. Les façon de sentir et de penser, chères à Marc Bloch (…), la perception de l’espace et du temps supposent, sur cette longue période, l’adhésion commune à une conception du monde. » (page 94)
« Cette civilisation se veut une chrétienté, voire le plus souvent « la » Chrétienté – oubliant comme d’habitude l’Eglise d’Orient. Un océan la borde à l’Ouest, qui ne mène nulle part. Vers l’Est et le Sud se trouvent des religions différentes, hostiles et, au fond, païennes. L’Occident médiéval n’a, de surcroît, aucun projet de conquête, contrairement au monde musulman.
Comme son nom l’indique, la Reconquista espagnole est, en effet, une « reconquête », une ré-appropriation. Même chose pour les Croisades. Les Occidentaux – que les Byzantins nomment Francs et les musulmans Roumis (Romains) – ne prétendent pas conquérir de nouveaux domaines. Ils croient se réinstaller sur la terre des origines : la Palestine leur semble tout aussi naturellement chrétienne que Rome. Si Byzance paraît à beaucoup une ville étrangère, il n’en va pas de même pour Jérusalem, où mourut et ressuscita le Christ. Et Jérusalem, les cartes erronées le montrent à l’envi, se trouve au centre du monde. » (pages 114 – 115)
« Politiquement, on peut penser que le Moyen Age s’achève au cours des guerres de Religion. Le principe célèbre : cujus regio, ejus religion ( à lieu – dit, religion – dite), ne fait certes qu’entériner une habitude médiévale. Un lieu, un seigneurs, des coutumes. »
(…)
« En revanche, un mot apparaît : celui de religion. Il est absolument étranger au Moyen Age. Tout était religion. (…) L’acceptation actuelle du mot remonte au XVIe siècle. Cette émergence du concept de religion marque – elle – une véritable rupture puisqu’elle invite à se penser éventuellement hors de la religion, considérée comme un phénomène relatif, du moins mis à distance. On peut « choisir ».
En tant que « vision du monde », le Moyen Age persiste au contraire dans les deux camps. Il ne se défait qu’avec l’essor de l’esprit scientifique, à partir de Copernic (1473 – 1543) et jusqu’à Newton (1642 – 1727). Si l’on considère, enfin, la technologie et la vie sociale, le Moyen Age dure jusqu’au XVIIIe siècle. Il cède alors progressivement la place à la révolution industrielle, quand s’accentue la rupture avec l’économie rurale. l’émergence de la notion de marché, la prise de conscience de phénomènes spécifiquement économiques annoncent un basculement. » (pages 59 – 60)
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