Catégorie : Epistémologie

« L’histoire n’appartient pas aux historiens« 

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C’est exact, mais cela n’autorise pas n’importe qui à faire n’importe quoi avec l’histoire ! Et c’est pourtant ce qu’a fait l’auteur de cette phrase, Eric Zemmour, dans son livre Destin français. Quand l’histoire se venge ( à ne pas lire, donc). Si vous voulez voir l’étendue de l’inculture ou des mensonges volontaire de cet homme, suivez ce lien.
Ses mensonges et contre – vérités s’expliquent toutefois à la lumière d’un article publié par Le Figaro le 14 novembre 2013, dans lequel il écrivait : « L’Histoire – arrachée de gré ou de force aux historiens professionnels – est en train de (re)devenir l’arme politique qu’elle fut à la veille de la Révolution, et plus encore au XIXe siècle, lorsque les grands historiens comme Michelet préparèrent les esprits à l’avènement de la République. »

Ci-dessous, une tribune de l’historien Gerard Noiriel  à propos du livre de Zemmour dans Le Monde du 29 septembre 2018 :

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Pour entendre des historiens

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Dans cette collection d’entretiens, des historiens, français et étrangers, ont explicité les grandes étapes de l’élaboration de leur œuvre, mis au jour les origines de leur vocation et les racines de leur engagement dans leur époque. Il s’agit comme l’explique Pierre Nora dans ses Essais d’ego-histoire, d’ « éclairer sa propre histoire, comme on ferait l’histoire d’un autre, à essayer d’appliquer soi-même, chacun dans son style et avec les méthodes qui lui sont chères, le regard froid, englobant, explicatif qu’on a si souvent porté sur d’autres. D’expliciter, en historien, le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui vous a fait.« 

 

Un numéro des Cahiers pédagogiques sur l’histoire à l’école

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ENTRER DANS L’HISTOIRE
Traitre ou pas traitre ? Thomas Legrand
L’appétit vient en mangeant. Pierre Cieutat
Matriochkas. Carole Gomez-Gauthié
En banlieue, c’est possible ! Amaury Pierre, Fabien Pontagnier
L’histoire à l’école : oui, mais comment ? Philippe Cherel
Sur la piste du temps. Alexandra Rayzal
Tiens, c’est vrai, pourquoi ? Delphine Guichard
Des enseignants discrets. Guillaume Jacq
HISTOIRE ET IDENTITÉS
Faut-il enseigner l’histoire du temps présent ? Laurence De Cock
Le présent du passé. Sébastien Ledoux
Leur histoire nationale. Églantine Wuillot
Itinéraire d’un enfant sauvé. Loétitia Dupont
Si on venait faire ça chez eux… Amina Selmane
Morts pour la France ? Pascal Landragin
« Ce ne sont que des détails ! » Jean-Sébastien Gauthier
Devoir d’histoire. François Hébert
Israël : quelle histoire enseigner ? Avner Ben-Amos
HISTOIRE ET VÉRITÉ
L’historien : un maitre de vérité ? François Dosse
Des plaines d’Abraham à la pensée critique. Marc-André Éthier, David Lefrançois
Ce document ne sert à rien ! Clotilde Bigot
Geschichte : la formation de l’esprit critique. Rainer Bendick
Empire, vous avez dit Empire ? Stéphane Pihen
Depuis quand Périclès était-il avec Aspasie ? Thierry Bonnafous
Si tu vas à Mycènes. Yannick Mével
Pas d’Histoire sans histoires. Jean-Paul Zampin
Ah ! La belle chose que de savoir quelque chose ! Jean-Michel Zakhartchouk

Pour accompagner ce numéro des Cahiers pédagogiques, on trouve en ligne le compte rendu d’une enquête menée auprès de de 340 élèves de CM1 et CM2 à qui on a posé la question : À ton avis, pourquoi fait-on de l’histoire-géographie à l’école ?
Dans 9,2 % des réponses, c’est soit pour réussir scolairement en ayant de bonnes notes, soit en lien avec l’idée d’un avenir professionnel.
Dans 11,8 % des réponses, il y a une dimension identitaire, le discours des élèves laissant penser qu’ils s’incluent dans un groupe social dont il faut connaitre le passé.
Pour 23 % des réponses, il s’agit avant tout de disposer de connaissances pour la culture générale.
Enfin, on fait de l’histoire – géographie pour « savoir le passé » dans 29 % des réponses.

Paroles d’histoire

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«Paroles d’histoire» est un podcast lancé en avril 2018, ouvert à toutes les périodes et toutes les approches qui permettent de réfléchir au passé, et à ses liens avec le présent. En invitant des historiennes et des historiens on y discute de livres récents ou classiques, d’historiographie et de méthodologie, de débats et de controverses, et de tous les usages possibles de l’histoire, des plus savants aux plus courants, à l’école, au musée, à la télévision, sur internet.
Ci-dessous, l’émission consacrée à l’enseignement de l’histoire, avec comme invitée Laurence de Cock :

 

Les historiens et l’informatique : une vieille histoire…

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Emmanuel Le Roy Ladurie inaugurant les premiers ordinateurs dans l’ancienne salle des catalogues de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, en février 1988. La photo provient de l’article de Stefan Lemny

Stefan Lemny m’a signalé cet article sur le blog L’Histoire à la BnF, résumant sa conférence sur Emmanuel Le Roy Ladurie et son approche scientifique et informatique de la recherche en histoire. C’est par exemple à son action en tant qu’administrateur général que l’on doit l’informatisation du catalogue de la Bibliothèque nationale qui existait sous forme de fiches et de volumes imprimés jusqu’en 1988, même si l’opération avait été par son prédécesseur.
À la fin de l’article on peut trouver le lien vers un documentaire très intéressant se proposant de suivre la démarche intellectuelle d’Emmanuel Le Roy Ladurie à propos de sa thèse  sur les paysans du Languedoc. Le film suit l’historien dans son défrichage des sources et dans les méthodes de l’histoire quantitative chère à école des Annales.
A propos de l’utilisation de l’informatique dans la recherche historique, on pourra aussi lire ici les actes d’un colloque de 1975, intitulé « Informatique et histoire médiévale ». Puis là un article de Lucie Fossier sur le même sujet en 1989.
Enfin, la revue Le médiéviste et l’ordinateur, créée en 1979 par l’IRHT, a publié deux numéros par an, au printemps et à l’automne, jusqu’en 2006. Les premiers numéros disponibles uniquement en papier ont été réédités en deux volumes (n° 1-10, 1979-1983, et n° 11-20, 1984-1988). Tous les numéros depuis 1989 (n° 20) sont archivés sur le site web de l’IRHT. En 2004, à partir du numéro 43, la revue devint uniquement électronique. La revue réunissait des médiévistes intéressés par l’informatique et les nouvelles techniques et rendait compte de leur réflexion sur leur application à l’histoire médiévale.

 

Mise au point sur la colonisation de l’Algérie et la notion de crime contre l’humanité

Sylvie Thénault est directrice de recherche au CNRS et historienne. Ses travaux portent sur la colonisation de l’Algérie et sur la guerre d’indépendance algérienne. Elle s’est particulièrement intéressée à la répression et au droit dans le contexte colonial. Voici ce qu’elle déclare après les propos d’Emmanuel Macron en visite en Algérie et les critiques qu’ils ont suscitées.

Sylvie Thénault : « Je pense qu’il faut distinguer le « crime contre l’humanité » au sens juridique et au sens moral. Juridiquement, non, la voie est bouchée, car la définition du « crime contre l’humanité » est telle qu’elle ne peut pas s’appliquer à la colonisation, mais il faut avoir conscience que toute définition juridique est le résultat d’une construction par des juristes et d’une évolution par la jurisprudence. C’est ainsi en toute connaissance de cause que les juristes et magistrats français ont ciselé dans les années 1990 une définition du « crime contre l’humanité » qui écarte la torture, les exécutions sommaires et les massacres commis par l’armée française dans les années 1954-1962, pendant la guerre d’indépendance algérienne. Il y a eu amnistie pour cette période, et, juridiquement, cette amnistie est inattaquable.
L’approche juridique n’épuise donc pas la question et il faut se la poser au plan moral. Se référer au « crime contre l’humanité », le plus grave des crimes, a une puissante signification – la meilleure preuve en est l’écho donné aux déclarations d’Emmanuel Macron. C’est en effet affirmer avec la plus grande force une condamnation de la colonisation. De ce point de vue, il n’y a pas de « vérité » à défendre. Les historiens peuvent évidemment contribuer au débat par leurs savoirs et leurs travaux, mais, ensuite, chacun est libre de se prononcer en conscience. C’est une question d’opinion.« 

Voici ce qu’elle déclare ensuite à propos des déclaration du même Emmanuel Macron en novembre 2016, lorsqu’il disait qu’en Algérie, « il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un Etat, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie « .
Sylvie Thénault : « A mon sens, il est aberrant de raisonner en ces termes. Trouvez-vous pertinent de dresser un tableau à double entrée pour lister, d’un côté, les violences, les discriminations, la paupérisation massive des Algériens pendant la période coloniale, et, de l’autre, les infrastructures administratives et économiques créées ? On ne peut pas, à mon sens, mettre les deux en balance pour savoir si le « négatif » ou le « positif » l’emporte. Personnellement, je trouve cela indécent.
Historiquement, c’est un raisonnement biaisé : la colonisation forme un tout inséparable. Elle est l’appropriation illégitime, par la force, d’un territoire et de ses habitants. Cette appropriation a signifié, à la fois, la violence et les souffrances de ceux qui la subissaient et la mise en place d’infrastructures administratives et économiques. A leur sujet, en outre, il ne faut pas exagérer la mise en valeur de l’Algérie : tous les gouvernements qui, après 1945, ont cherché à combattre le succès du nationalisme, ont fait le constat du sous-développement économique et social de l’Algérie. Ils ont alors conçu des plans de développement mais le seul à avoir eu un impact réel a été très tardif : le plan de Constantine, lancé en 1958, quatre ans avant l’indépendance.« 

D’après un article du Monde.fr