Catégorie : Victor Hugo

Un poème manuscrit de Victor Hugo retrouvé dans un lycée de Besançon


Un poème manuscrit et inédit (du moins sous cette forme) de Victor Hugo a été retrouvé dans un lycée qui porte son nom à Besançon, ville de naissance du poète. Cet inédit intitulé Les Enfants pauvres, avait été offert en 1868 par l’écrivain pour une loterie à Besançon au profit des indigents, puis avait été revendu en 1951 à l’établissement scolaire, pour 6000 francs, et rangé puis oublié jusqu’à la dernière rentrée.

« Ah ! Voilà surtout ceux que j’aime,
Faibles fronts dans l’ombre engloutie,
Parés d’un triple diadème,
Innocents, pauvres et petits !

Ils sont meilleurs que nous le sommes
Ah ! Donnons-leur en même temps,
Avec le pain qu’il faut aux hommes,
Le baiser qu’il faut aux enfants ! »

La seconde strophe de ce poème se retrouve presque intégralement dans le poème Dieu est toujours là appartenant au recueil Les voix intérieures publié en 1837.

21 août 1849 : les Etats – Unis d’Europe

« Messieurs,
Beaucoup d’entre vous viennent des points du globe les plus éloignés, le cœur plein d’une pensée religieuse sainte. Vous comptez dans vos rangs des publicistes, des philosophes, des ministres des cultes chrétiens, des écrivains éminents, plusieurs de ces hommes considérables, de ces hommes publics et populaires qui sont les lumières de leur nation. Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas seulement le bien du peuple, mais qui veulent le bien de tous les peuples. Vous venez ajouter aux principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’Etat, les gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Evangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez proclamer la fraternité des hommes.Soyez les bienvenus ! (…)
Messieurs, cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Evangile pour loi suprême, la médiation substituée à la guerre, cette pensée religieuse est-elle une pensée
pratique ? Cette idée sainte est-elle une idée réalisable ? Beaucoup d’esprits positifs, comme on dit aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques vieillis dans le maniement des affaires, répondent Non. Moi, je réponds avec vous, je réponds sans hésiter, je réponds Oui ! et je vais essayer de le prouver tout à l’heure. Je vais plus loin ; je ne dis pas seulement : c’est un but réalisable, je dis : c’est un but inévitable ; on peut en retarder ou en hâter l’avènement. Voilà tout. (…)
Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers. (…)
Et, ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné l’humanité, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.
Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen Age! Grâce aux bateaux à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait jadis la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde !(…) Messieurs, la paix vient de durer trente – deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt – huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre !
Ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix ! Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez- vous le résultat. Si, depuis trente – deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l’Amérique, de son côté, aidant l’Europe, savez- vous ce qui serait arrivé ? La face du monde serait changée ! Les isthmes auraient été coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du monde aurait centuplé (…) et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions. Oui, la face du monde serait changée ! (…)
Voyez, messieurs, dans quel aveuglement la préoccupation de la guerre jette les nations et les gouvernants : si les cent vingt-huit milliards qui ont été donnés par l’Europe depuis trente-deux ans à la guerre, qui n’existait pas, avaient été donnés à la paix, qui existait, disons-le, et disons-le bien haut, on n’aurait rien vu en Europe de ce qu’on y voit en ce moment ; le continent, au lieu d’être un champ de bataille, serait un atelier, et au lieu de ce spectacle douloureux et terrible, le Piémont abattu, Rome, la ville éternelle, livrée aux oscillations de la politique humaine. Venise qui se débat héroïquement, la noble Hongrie qui se soulève, la France inquiète, appauvrie et sombre ; la misère, le deuil, la guerre civile, l’obscurité sur l’avenir ; au lieu de ce spectacle sinistre, nous aurions sous les yeux l’espérance, la joie, la bienveillance, l’effort de tous vers le bien-être commun, et nous ver- rions partout se dégager de la civilisation en travail le majestueux rayonnement de la concorde universelle.
Chose digne de méditation ! Ce sont nos précautions contre la guerre qui ont amené les révolutions! On a tout fait, on a tout dépensé contre le péril imaginaire ! On a aggravé ainsi la misère qui était le péril réel! On s’est fortifié contre un danger chimérique ; on a tourné ses regards du côté où n’était pas le point noir; on a vu les guerres qui ne venaient pas, et l’on n’a pas vu les révolutions qui arrivaient !
Messieurs, ne désespérons pas pourtant. Au contraire, espérons plus que jamais ! Ne nous laissons pas effrayer par des commotions momentanées, secousses nécessaires peut-être des grands enfantements. Ne soyons pas injustes pour le temps où nous vivons, ne voyons pas notre époque autrement qu’elle n’est. C’est une prodigieuse et admirable époque après tout, et le dix – neuvième siècle sera, disons-le hautement, la plus grande page de l’histoire. Comme je vous le rappelais tout à l’heure, tous les progrès s’y révèlent et s’y manifestent à la fois, les uns amenant les autres : chute des animosités internationales, effacements des frontières sur la carte et des préjugés dans les cœurs, tendance à l’unité, adoucissement des mœurs, élévation du niveau de l’enseignement et abaissement du niveau des pénalités, domination des langues les plus littéraires, c’est- à – dire les plus humaines, tout se meut en même temps, économie politique, science, industrie, philosophie, législation, et converge au même but, la création du bien-être et de la bienveillance, c’est-à-dire, et c’est là pour ma part le but auquel je tendrai toujours, extinction de la mi- sère au-dedans, extinction de la guerre au-dehors.
Désormais, le but de la politique grande, de la politique vraie, le voici : faire reconnaître toutes les nationalités, restaurer l’unité historique des peuples, et rallier cette unité à la civilisation par la paix ; élargir sans cesse le groupe civilisé, donner le bon exemple aux peuples encore barbares, substituer les arbitrages aux batailles, enfin, et ceci résume tout, faire prononcer par la justice le dernier mot que l’ancien monde faisait prononcer par la force.
Messieurs, je le dis en terminant, et que cette pensée nous encourage, ce n’est pas aujourd’hui que le genre humain est en marche dans cette voie providentielle. Dans notre vieille Europe, l’Angleterre a fait le premier pas, et par son exemple séculaire elle a dit aux peuples : vous êtes libres. La France a fait le second pas, et elle a dit aux peuples : vous êtes souverains.
Maintenant, faisons le troisième pas, et tous ensemble, France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie, Europe, Amérique, disons aux peuples : Vous êtes frères ! ».

Victor Hugo, Discours au Congrès des amis de la paix universelle, à Paris.

 

L’Evénement, le journal de Victor Hugo

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L’Événement était un quotidien français fondé à Paris le 30 juillet 1848 par Victor Hugo. Le journal a paru jusqu’en septembre 1851. Il soutint d’abord la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République pour contrer celle du général Cavaignac aux élections du 10 décembre 1848. Mais en mai 1849, le journal commença à s’opposer au parti de la majorité présidentielle, en grande partie à cause du projet d’enquête sur la misère et de la loi Falloux sur l’enseignement. Il se lança alors dans de violentes campagnes, notamment contre la peine de mort et contre la nouvelle loi sur la presse de juillet 1850, qui lui valurent d’être suspendu en septembre 1851 et de subir un procès, qui entraîna l’emprisonnement de ses rédacteurs principaux, sujet d’un poème de Hugo :

(Après leur condamnation)

Mes fils, soyez contents ; l’honneur est où vous êtes.
Et vous, mes deux amis, la gloire, ô fiers poètes,
Couronne votre nom par l’affront désigné ;
Offrez aux juges vils, groupe abject et stupide,
Toi, ta douceur intrépide,
Toi, ton sourire indigné.

Dans cette salle, où Dieu voit la laideur des âmes,
Devant ces froids jurés, choisis pour être infâmes,
Ces douze hommes, muets, de leur honte chargés,
Ô justice, j’ai cru, justice auguste et sombre,
Voir autour de toi dans l’ombre
Douze sépulcres rangés.

Ils vous ont condamnés, que l’avenir les juge !
Toi, pour avoir crié : la France est le refuge
Des vaincus, des proscrits ! – Je t’approuve, mon fils !
Toi, pour avoir, devant la hache qui s’obstine,
Insulté la guillotine,
Et vengé le crucifix !

Les temps sont durs ; c’est bien. Le martyre console.
J’admire, ô Vérité, plus que toute auréole,
Plus que le nimbe ardent des saints en oraison,
Plus que les trônes d’or devant qui tout s’efface,
L’ombre que font sur ta face
Les barreaux d’une prison !

Quoi que le méchant fasse en sa bassesse noire,
L’outrage injuste et vil là-haut se change en gloire.
Quand Jésus commençait sa longue passion,
Le crachat qu’un bourreau lança sur son front blême
Fit au ciel à l’instant même
Une constellation !

Bouclant juste après la fin de la séance parlementaire, le journal pouvait communiquer à ses lecteurs un compte-rendu immédiat et complet des débats et servait donc de tribune à Victor Hugo en restituant ses discours à l’assemblée.
La rédaction était composée des deux fils de Hugo (Charles Hugo et François-Victor Hugo), mais aussi de Gérard de Nerval, Alexandre Dumas père et Alexandre Dumas fils . Sa capacité de tirage pouvait théoriquement atteindre 100 000 exemplaires, mais le pic des ventes se situa le 16 mai 1850, avec 50 000 exemplaires partis en une soirée.
Ce nouveau quotidien était très indépendant, un journal aussi bien littéraire que politique, prenant souvent la défense des classes laborieuses. Il réussit à se maintenir jusqu’en 1851 malgré les nombreuses amendes et condamnations dont il fit l’objet.

Les discours politiques de Victor Hugo (5)

Discours devant l’assemblée constituante à propos des ateliers nationaux, le 20 juin 1848 :

« Messieurs,
Je ne monte pas à cette tribune pour ajouter de la passion aux débats qui vous agitent, ni de l’amertume aux contestations qui vous divisent. Dans un moment où tout est difficulté, où tout peut être danger, je rougirais d’apporter volontairement des embarras au gouvernement de mon pays. Nous assistons à une solennelle et décisive expérience ; j’aurais honte de moi s’il pouvait entrer dans ma pensée de troubler par des chicanes, dans l’heure si difficile de son établissement, cette majestueuse forme sociale, la république, que nos pères ont vue grande et terrible dans le passé, et que nous voulons tous voir grande et bienfaisante dans l’avenir. Je tâcherai donc, dans le peu que j’ai à dire à propos des ateliers nationaux, de ne point perdre de vue cette vérité, qu’à l’époque délicate et grave où nous sommes, s’il faut de la fermeté dans les actes, il faut de la conciliation dans les paroles.

La question des ateliers nationaux a déjà été traitée à diverses reprises devant vous avec une remarquable élévation d’aperçus et d’idées. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit. Je m’abstiendrai des chiffres que vous connaissez tous. Dans mon opinion, je le déclare franchement, la création des ateliers nationaux a pu être, a été une nécessité ; mais le propre des hommes d’état véritables, c’est de tirer bon parti des nécessités, et de convertir quelquefois les fatalités mêmes d’une situation en moyens de gouvernement. Je suis obligé de convenir qu’on n’a pas tiré bon parti de cette nécessité-ci.

Ce qui me frappe au premier abord, ce qui frappe tout homme de bon sens dans cette institution des ateliers nationaux, telle qu’on l’a faite, c’est une énorme force dépensée en pure perte. Je sais que M. le ministre des travaux publics annonce des mesures ; mais, jusqu’à ce que la réalisation de ces mesures ait sérieusement commencé, nous sommes bien obligés de parler de ce qui est, de ce qui menace d’être peut-être longtemps encore ; et, dans tous les cas, notre contrôle à le droit de remonter aux fautes faites, afin d’empêcher, s’il se peut, les fautes à faire.

Je dis donc que ce qu’il y a de plus clair jusqu’à ce jour dans les ateliers nationaux, c’est une énorme force dépensée en pure perte ; et à quel moment ? Au moment où la nation épuisée avait besoin de toutes ses ressources, de la ressource des bras autant que de la ressource des capitaux. En quatre mois, qu’ont produit les ateliers nationaux ? Rien.

Je ne veux pas entrer dans la nomenclature des travaux qu’il était urgent d’entreprendre, que le pays réclamait, qui sont présents à tous vos esprits ; mais examinez ceci. D’un côté une quantité immense de travaux possibles, de l’autre côté une quantité immense de travailleurs disponibles. Et le résultat ? néant ! (Mouvement.)

Néant, je me trompe ; le résultat n’a pas été nul, il a été fâcheux ; fâcheux doublement, fâcheux au point de vue des finances, fâcheux au point de vue de la politique.
Toutefois, ma sévérité admet des tempéraments ; je ne vais pas jusqu’au point où vont ceux qui disent avec une rigueur trop voisine peut-être de la colère pour être tout à fait la justice : — Les ateliers nationaux sont un expédient fatal. Vous avez abâtardi les vigoureux enfants du travail, vous avez ôté à une partie du peuple le goût du labeur, goût salutaire qui contient la dignité, la fierté, le respect de soi-même et la santé de la conscience. À ceux qui n’avaient connu jusqu’alors que la force généreuse du bras qui travaille, vous avez appris la honteuse puissance de la main tendue ; vous avez déshabitué les épaules de porter le poids glorieux du travail honnête, et vous avez accoutumé les consciences à porter le fardeau humiliant de l’aumône. Nous connaissions déjà le désœuvré de l’opulence, vous avez créé le désœuvré de la misère, cent fois plus dangereux pour lui-même et pour autrui. La monarchie avait les oisifs, la république aura les fainéants. — (Assentiment marqué.)

Ce langage rude et chagrin, je ne le tiens pas précisément, je ne vais pas jusque-là. Non, le glorieux peuple de juillet et de février ne s’abâtardira pas. Cette fainéantise fatale à la civilisation est possible en Turquie ; en Turquie et non pas en France. Paris ne copiera pas Naples ; jamais, jamais Paris ne copiera Constantinople. Jamais, le voulût-on, jamais on ne parviendra à faire de nos dignes et intelligents ouvriers qui lisent et qui pensent, qui parlent et qui écoutent, des lazzaroni en temps de paix et des janissaires pour le combat. Jamais ! (Sensation.)

Ce mot le voulût-on, je viens de le prononcer ; il m’est échappé. Je ne voudrais pas que vous y vissiez une arrière-pensée, que vous y vissiez une accusation par insinuation. Le jour où je croirai devoir accuser, j’accuserai, je n’insinuerai pas. Non, je ne crois pas, je ne puis croire, et je le dis en toute sincérité, que cette pensée monstrueuse ait pu germer dans la tête de qui que ce soit, encore moins d’un ou de plusieurs de nos gouvernants, de convertir l’ouvrier parisien en un condottiere, et de créer dans la ville la plus civilisée du monde, avec les éléments admirables dont se compose la population ouvrière, des prétoriens de l’émeute au service de la dictature. (Mouvement prolongé.)
Cette pensée, personne ne l’a eue, cette pensée serait un crime de lèse-majesté populaire ! (C’est vrai !) Et malheur à ceux qui la concevraient jamais ! malheur à ceux qui seraient tentés de la mettre à exécution ! car le peuple, n’en doutez pas, le peuple, qui a de l’esprit, s’en apercevrait bien vite, et ce jour-là il se lèverait comme un seul homme contre ces tyrans masqués en flatteurs, contre ces despotes déguisés en courtisans, et il ne serait pas seulement sévère, il serait terrible. (Très bien ! très bien !)

Je rejette cet ordre d’idées, et je me borne à dire qu’indépendamment de la funeste perturbation que les ateliers nationaux font peser sur nos finances, les ateliers nationaux tels qu’ils sont, tels qu’ils menacent de se perpétuer, pourraient, à la longue, — danger qu’on vous a déjà signalé, et sur lequel j’insiste, — altérer gravement le caractère de l’ouvrier parisien.

Eh bien, je suis de ceux qui ne veulent pas qu’on altère le caractère de l’ouvrier parisien ; je suis de ceux qui veulent que cette noble race d’hommes conserve sa pureté ; je suis de ceux qui veulent qu’elle conserve sa dignité virile, son goût du travail, son courage à la fois plébéien et chevaleresque ; je suis de ceux qui veulent que cette noble race, admirée du monde entier, reste admirable.

Et pourquoi est-ce que je le veux ? Je ne le veux pas seulement pour l’ouvrier parisien, je le veux pour nous ; je le veux à cause du rôle que Paris remplit dans l’œuvre de la civilisation universelle.

Paris est la capitale actuelle du monde civilisé…

Une voix. — C’est connu ! (On rit.)

M. Victor Hugo. — Sans doute, c’est connu ! J’admire l’interruption ! il serait rare et curieux que Paris fût la capitale du monde et que le monde n’en sût rien. (Très bien ! — On rit.) Je poursuis. Ce que Rome était autrefois, Paris l’est aujourd’hui. Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. Paris a une fonction dominante parmi les nations. Paris a le privilège d’établir à certaines époques, souverainement, brusquement quelquefois, de grandes choses : la liberté de 89, la république de 92, juillet 1830, février 1848 ; et ces grandes choses, qui est-ce qui les fait ? Les penseurs de Paris qui les préparent, et les ouvriers de Paris qui les exécutent. (Interruptions diverses.)

Voilà pourquoi je veux que l’ouvrier de Paris reste ce qu’il est, un noble et courageux travailleur, soldat de l’idée au besoin, de l’idée et non de l’émeute (sensation), l’improvisateur quelquefois téméraire des révolutions, mais l’initiateur généreux, sensé, intelligent et désintéressé des peuples. C’est là le grand rôle de l’ouvrier parisien. J’écarte donc de lui avec indignation tout ce qui peut le corrompre.

De là mon opposition aux ateliers nationaux.

Il est nécessaire que les ateliers nationaux se transforment promptement d’une institution nuisible en une institution utile.

Quelques voix. — Les moyens ?

M. Victor Hugo. — Tout à l’heure, en commençant, ces moyens, je vous les ai indiqués ; le gouvernement les énumérait hier, je vous demande la permission de ne pas vous les répéter.

Plusieurs membres. — Continuez ! continuez !

M. Victor Hugo. — Trop de temps déjà a été perdu ; il importe que les mesures annoncées soient le plus tôt possible des mesures accomplies. Voilà ce qui importe. J’appelle sur ce point l’attention de l’assemblée et de ses délégués au pouvoir exécutif.

Je voterai le crédit sous le bénéfice de ces observations.

Que demain il nous soit annoncé que les mesures dont a parlé M. le ministre des travaux publics sont en pleine exécution, que cette voie soit largement suivie, et mes critiques disparaissent. Est-ce que vous croyez qu’il n’est pas de la plus haute importance de stimuler le gouvernement lorsque le temps se perd, lorsque les forces de la France s’épuisent ?

En terminant, messieurs, permettez-moi d’adresser du haut de cette tribune, à propos des ateliers nationaux… — ceci est dans le sujet, grand Dieu ! et les ateliers nationaux ne sont qu’un triste détail d’un triste ensemble… — permettez-moi d’adresser du haut de cette tribune quelques paroles à cette classe de penseurs sévères et convaincus qu’on appelle les socialistes (Oh ! oh ! — Écoutez ! écoutez !) et de jeter avec eux un coup d’œil rapide sur la question générale qui trouble, à cette heure, tous les esprits et qui envenime tous les événements, c’est-à-dire sur le fond réel de la situation actuelle.

La question, à mon avis, la grande question fondamentale qui saisit la France en ce moment et qui emplira l’avenir, cette question n’est pas dans un mot, elle est dans un fait. On aurait tort de la poser dans le mot république, elle est dans le fait démocratie ; fait considérable, qui doit engendrer l’état définitif des sociétés modernes et dont l’avènement pacifique est, je le déclare, le but de tout esprit sérieux.

C’est parce que la question est dans le fait démocratie et non dans le mot république, qu’on a eu raison de dire que ce qui se dresse aujourd’hui devant nous avec des menaces selon les uns, avec des promesses selon les autres, ce n’est pas une question politique, c’est une question sociale.

Représentants du peuple, la question est dans le peuple. Je le disais il y a un an à peine dans une autre enceinte, j’ai bien le droit de le redire aujourd’hui ici ; la question, depuis longues années déjà, est dans les détresses du peuple, dans les détresses des campagnes qui n’ont point assez de bras, et des villes qui en ont trop, dans l’ouvrier qui n’a qu’une chambre où il manque d’air, et une industrie où il manque de travail, dans l’enfant qui va pieds nus, dans la malheureuse jeune fille que la misère ronge et que la prostitution dévore, dans le vieillard sans asile, à qui l’absence de la providence sociale fait nier la providence divine ; la question est dans ceux qui souffrent, dans ceux qui ont froid et qui ont faim. La question est là. (Oui ! oui !)

Eh bien, — socialiste moi-même, c’est aux socialistes impatients que je m’adresse, — est-ce que vous croyez que ces souffrances ne nous prennent pas le cœur ? est-ce que vous croyez qu’elles nous laissent insensibles ? est-ce que vous croyez qu’elles n’éveillent pas en nous le plus tendre respect, le plus profond amour, la plus ardente et la plus poignante sympathie ? Oh ! comme vous vous tromperiez ! (Sensation.) Seulement, en ce moment, au moment où nous sommes, voici ce que nous vous disons.

Depuis le grand événement de février, par suite de ces ébranlements profonds qui ont amené des écroulements nécessaires, il n’y a plus seulement la détresse de cette portion de la population qu’on appelle plus spécialement le peuple, il y a la détresse générale de tout le reste de la nation. Plus de confiance, plus de crédit, plus d’industrie, plus de commerce ; la demande a cessé, les débouchés se ferment, les faillites se multiplient, les loyers et les fermages ne se payent plus, tout a fléchi à la fois ; les familles riches sont gênées, les familles aisées sont pauvres, les familles pauvres sont affamées.

À mon sens, le pouvoir révolutionnaire s’est mépris. J’accuse les fausses mesures, j’accuse aussi et surtout la fatalité des circonstances.

Le problème social était posé. Quant à moi, j’en comprenais ainsi la solution : n’effrayer personne, rassurer tout le monde, appeler les classes jusqu’ici déshéritées, comme on les nomme, aux jouissances sociales, à l’éducation, au bien-être, à la consommation abondante, à la vie à bon marché, à la propriété rendue facile…

Plusieurs membres. — Très bien !

De toutes parts. — Nous sommes d’accord, mais par quels moyens ?

M. Victor Hugo. — En un mot, faire descendre la richesse. On a fait le contraire ; on a fait monter la misère.

Qu’est-il résulté de là ? Une situation sombre où tout ce qui n’est pas en perdition est en péril, où tout ce qui n’est pas en péril est en question ; une détresse générale, je le répète, dans laquelle la détresse populaire n’est plus qu’une circonstance aggravante, qu’un épisode déchirant du grand naufrage.

Et ce qui ajoute encore à mon inexprimable douleur, c’est que d’autres jouissent et profitent de nos calamités. Pendant que Paris se débat dans ce paroxysme, que nos ennemis, ils se trompent ! prennent pour l’agonie, Londres est dans la joie, Londres est dans les fêtes, le commerce y a triplé, le luxe, l’industrie, la richesse s’y sont réfugiés. Oh ! ceux qui agitent la rue, ceux qui jettent le peuple sur la place publique, ceux qui poussent au désordre et à l’insurrection, ceux qui font fuir les capitaux et fermer les boutiques, je puis bien croire que ce sont de mauvais logiciens, mais je ne puis me résigner à penser que ce sont décidément de mauvais français, et je leur dis, et je leur crie : En agitant Paris, en remuant les masses, en provoquant le trouble et l’émeute, savez-vous ce que vous faites ? Vous construisez la force, la grandeur, la richesse, la puissance, la prospérité et la prépondérance de l’Angleterre. (Mouvement prolongé.)

Oui, l’Angleterre, à l’heure où nous sommes, s’assied en riant au bord de l’abîme où la France tombe. (Sensation.) Oh ! certes, les misères du peuple nous touchent ; nous sommes de ceux qu’elles émeuvent le plus douloureusement. Oui, les misères du peuple nous touchent, mais les misères de la France nous touchent aussi ! Nous avons une pitié profonde pour l’ouvrier avarement et durement exploité, pour l’enfant sans pain, pour la femme sans travail et sans appui, pour les familles prolétaires depuis si longtemps lamentables et accablées ; mais nous n’avons pas une pitié moins grande pour la patrie qui saigne sur la croix des révolutions, pour la France, pour notre France sacrée qui, si cela durait, perdrait sa puissance, sa grandeur et sa lumière, aux yeux de l’univers. (Très bien !) Il ne faut pas que cette agonie se prolonge ; il ne faut pas que la ruine et le désastre saisissent tour à tour et renversent toutes les existences dans ce pays.

Une voix. — Le moyen ?

M. Victor Hugo. — Le moyen, je viens de le dire, le calme dans la rue, l’union dans la cité, la force dans le gouvernement, la bonne volonté dans le travail, la bonne foi dans tout. (Oui ! c’est vrai !)

Il ne faut pas, dis-je, que cette agonie se prolonge ; il ne faut pas que toutes les existences soient tour à tour renversées. Et à qui cela profiterait-il chez nous ? Depuis quand la misère du riche est-elle la richesse du pauvre ? Dans un tel résultat je pourrais bien voir la vengeance des classes longtemps souffrantes, je n’y verrais pas leur bonheur. (Très bien !)

Dans cette extrémité, je m’adresse du plus profond et du plus sincère de mon cœur aux philosophes initiateurs, aux penseurs démocrates, aux socialistes, et je leur dis : Vous comptez parmi vous des cœurs généreux, des esprits puissants et bienveillants, vous voulez comme nous le bien de la France et de l’humanité. Eh bien, aidez-nous ! aidez-nous ! Il n’y a plus seulement la détresse des travailleurs, il y a la détresse de tous. N’irritez pas là où il faut concilier, n’armez pas une misère contre une misère, n’ameutez pas un désespoir contre un désespoir. (Très bien !)

Prenez garde ! deux fléaux sont à votre porte, deux monstres attendent et rugissent là, dans les ténèbres, derrière nous et derrière vous, la guerre civile et la guerre servile (agitation), c’est-à-dire le lion et le tigre ; ne les déchaînez pas ! Au nom du ciel, aidez-nous !

Toutes les fois que vous ne mettez pas en question la famille et la propriété, ces bases saintes sur lesquelles repose toute civilisation, nous admettons avec vous les instincts nouveaux de l’humanité ; admettez avec nous les nécessités momentanées des sociétés. (Mouvement.)

M. Flocon, ministre de l’agriculture et du commerce. — Dites les nécessités permanentes.

Une voix. — Les nécessités éternelles.

M. Victor Hugo. — J’entends dire les nécessités éternelles. Mon opinion, ce me semble, était assez claire pour être comprise. (Oui ! oui !) Il va sans dire que l’homme qui vous parle n’est pas un homme qui nie et met en doute les nécessités éternelles des sociétés. J’invoque la nécessité momentanée d’un péril immense et imminent, et j’appelle autour de ce grand péril tous les bons citoyens, quelle que soit leur nuance, quelle que soit leur couleur, tous ceux qui veulent le bonheur de la France et la grandeur du pays, et je dis à ces penseurs auxquels je m’adressais tout à l’heure : Puisque le peuple croit en vous, puisque vous avez ce doux et cher bonheur d’être aimés et écoutés de lui, oh ! je vous en conjure, dites-lui de ne point se hâter vers la rupture et la colère, dites-lui de ne rien précipiter, dites-lui de revenir à l’ordre, aux idées de travail et de paix, car l’avenir est pour tous, car l’avenir est pour le peuple ! Il ne faut qu’un peu de patience et de fraternité ; et il serait horrible que, par une révolte d’équipage, la France, ce premier navire des nations, sombrât en vue de ce port magnifique que nous apercevons tous dans la lumière et qui attend le genre humain. »
(Très bien ! très bien !)

Les discours politiques de Victor Hugo (4)

Discours devant l’Assemblée Législative à propos de la révision de la Constitution qui permettrait au président de la république, Louis Napoléon Bonaparte, de se présenter une seconde fois, le 17 juillet 1851 :

« Messieurs, avant d’accepter ce débat, il m’est impossible de ne pas renouveler les réserves déjà faites par d’autres orateurs. Dans la situation actuelle, la loi du 31 mai étant debout, plus de quatre millions d’électeurs étant rayés, -résultat que je ne veux pas qualifier à cette tribune, car tout ce que je dirais serait trop faible pour moi et trop fort pour vous, mais qui finira, nous l’espérons, par inquiéter, par éclairer votre sagesse, -le suffrage universel, toujours vivant de droit, étant supprimé de fait, nous ne pouvons que dire aux auteurs des diverses propositions qui investissent en ce moment la tribune :

Que nous voulez-vous ?

Quelle est la question ?
Que demandez-vous ?

La révision de la constitution ?

Par qui ?

Par le souverain !

Où est-il ?

Nous ne le voyons pas. Qu’en a-t-on fait ? ( Mouvement. )

Quoi ! une constitution a été faite par le suffrage universel, et vous voulez la faire défaire par le suffrage restreint !

Quoi ! ce qui a été édifié par la nation souveraine, vous voulez le faire renverser par une fraction privilégiée !

Quoi ! cette fiction d’un pays légal, témérairement posé en face de la majestueuse réalité du peuple souverain, cette fiction chétive, cette fiction fatale, vous voulez la rétablir, vous voulez la restaurer, vous voulez vous y confier de nouveau !

Un pays légal, avant 1848, c’était imprudent. Après 1848, c’est insensé ! ( Sensation. )

Et puis, un mot.

Quel peut être, dans la situation présente, tant que la loi du 31 mai n’est pas abrogée, purement et simplement abrogée, entendez-vous bien, ainsi que toutes les autres lois de même nature et de même portée qui lui font cortège et qui lui prêtent main-forte, loi du colportage, loi contre le droit de réunion, loi contre la liberté de la presse, -quel peut être le succès de vos propositions ?

Qu’en attendez-vous ?

Qu’en espérez-vous ?

Quoi ! c’est avec la certitude d’échouer devant le chiffre immuable de la minorité, gardienne inflexible de la souveraineté du peuple, de la minorité, cette fois constitutionnellement souveraine et investie de tous les droits de la majorité, de la minorité, pour mieux dire, devenue elle-même majorité ! quoi ! c’est sans aucun but réalisable devant les yeux, car personne ne suppose la violation de l’article 111, personne ne suppose le crime… ( mouvements divers ) quoi ! c’est sans aucun résultat parlementaire possible que vous, qui vous dites des hommes pratiques, des hommes positifs, des hommes sérieux, qui faites à votre modestie cette violence de vous décerner à vous-mêmes, et à vous seuls, le titre d’hommes d’état ; c’est sans aucun résultat parlementaire possible, je le répète, que vous vous obstinez à un débat si orageux et si redoutable ! Pourquoi ? pour les orages du débat ! ( Bravo ! bravo ! ) Pour agiter la France, pour faire bouillonner les masses, pour réveiller les colères, pour paralyser les affaires, pour multiplier les faillites, pour tuer le commerce et l’industrie ! Pour le plaisir ! ( Profonde sensation. )

Fort bien ! le parti de l’ordre a la fantaisie de faire du désordre, c’est un caprice qu’il se passe. Il est le gouvernement, il a la majorité dans l’assemblée, il lui plaît de troubler le pays, il veut quereller, il veut discuter, il est le maître !

Soit ! Nous protestons ; c’est du temps perdu, un temps précieux ; c’est la paix publique gravement troublée. Mais puisque cela vous plaît, puisque vous le voulez, que la faute retombe sur qui s’obstine à la commettre. Soit, discutons.

J’entre immédiatement dans le débat. ( Rumeur à droite. Cris : La clôture ! M. Molé, assis au fond de la salle, se lève, traverse tout l’hémicycle, fait signe à la droite, et sort. On ne le suit pas. Il rentre. On rit à gauche. L’orateur continue. )

Messieurs, je commence par le déclarer, quelles que soient les protestations de l’honorable M. de Falloux, les protestations de l’honorable M. Berryer, les protestations de l’honorable M. de Broglie, quelles que soient ces protestations tardives, qui ne peuvent suffire pour effacer tout ce qui a été dit, écrit et fait depuis deux ans, -je le déclare, à mes yeux, et, je le dis sans crainte d’être démenti, aux yeux de la plupart des membres qui siégent de ce côté ( l’orateur désigne la gauche ), votre attaque contre la république française est une attaque contre la révolution française !

Contre la révolution française tout entière, entendez-vous bien ; depuis la première heure qui a sonné en 1789 jusqu’à l’heure où nous sommes ! ( A gauche : Oui ! oui ! c’est cela ! )

Nous ne distinguons pas, nous. A moins qu’il n’y ait pas de logique au monde, la révolution et la république sont indivisibles. L’une est la mère, l’autre est la fille. L’une est le mouvement humain qui se manifeste, l’autre est le mouvement humain qui se fixe. La république, c’est la révolution fondée. ( Vive approbation. ).

Vous vous débattez vainement contre ces réalités ; on ne sépare pas 89 de la république, on ne sépare pas l’aube du soleil. ( Interruption à droite.-Bravos à gauche. ) Nous n’acceptons donc pas vos protestations. Votre attaque contre la république, nous la tenons pour une attaque contre la révolution, et c’est ainsi, quant à moi, que j’entends la qualifier à la face du pays. Non, nous ne prenons pas le change ! Je ne sais pas si, comme on l’a dit, il y a des masques dans cette enceinte [note : Mot de M. de Morny.], mais j’affirme qu’il n’y aura pas de dupes ! ( Rumeurs à droite. )

Cela dit, j’aborde la question.

Messieurs, en admettant que les choses, depuis 1848, eussent suivi un cours naturel et régulier dans le sens vrai et pacifique de la démocratie s’élargissant de jour en jour et du progrès, après trois années d’essai loyal de la constitution, j’aurais compris qu’on dît :

-La constitution est incomplète. Elle fait timidement ce qu’il fallait faire résolûment. Elle est pleine de restrictions et de définitions obscures. Elle ne déclare aucune liberté entière. Elle n’a fait faire, en matière pénale, de progrès qu’à la pénalité politique elle n’a aboli qu’une moitié de la peine de mort. Elle contient en germe les empiétements du pouvoir exécutif, la censure pour certains travaux de l’esprit, la police entravant le penseur et gênant le citoyen. Elle ne dégage pas nettement la liberté individuelle. Elle ne dégage pas nettement la liberté de l’industrie. ( A gauche : C’est cela ! -Murmures à droite. )

Elle a maintenu la magistrature inamovible et nommée par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire la justice sans racines dans le peuple. ( Rumeurs à droite. )

Que signifient ces murmures ? Comment ! vous discutez la république, et nous ne pourrions pas discuter la magistrature ! Vous discutez le peuple, vous discutez le supérieur, et nous ne pourrions pas discuter l’inférieur ! vous discutez le souverain, nous ne pourrions pas discuter le juge !

M. LE PRÉSIDENT.-Je fais remarquer que ce qui est permis cette semaine ne le sera pas la semaine prochaine ; mais c’est la semaine de la tolérance. ( Rires d’approbation à droite. )

M. DE PANAT.-C’est la semaine des saturnales !

M. VICTOR HUGO.-Monsieur le président, ce que vous venez de dire n’est pas sérieux. ( A gauche : Très bien ! )

Je reprends, et j’insiste.

J’aurais donc compris qu’on dît : La constitution a des fautes et des lacunes ; elle maintient la magistrature inamovible et nommée par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire, je le répète, la justice sans racines dans le peuple. Or il est de principe que toute justice émane du souverain.

En monarchie, la justice émane du roi ; en république, la justice doit émaner du peuple. ( Sensation. )

Par quel procédé ? Par le suffrage universel choisissant librement les magistrats parmi les licenciés en droit. J’ajoute qu’en république il est aussi impossible d’admettre le juge inamovible que le législateur inamovible. ( Mouvement prolongé. )

J’aurais compris qu’on dît : La constitution s’est bornée à affirmer la démocratie ; il faut la fonder. Il faut que la république soit en sûreté dans la constitution, comme dans une citadelle. Il faut au suffrage universel des extensions et des applications nouvelles. Ainsi, par exemple, la constitution crée l’omnipotence d’une assemblée unique, c’est-à-dire d’une majorité, et nous en voyons aujourd’hui le redoutable inconvénient, sans donner pour contre-poids à cette omnipotence la faculté laissée à la minorité de déférer, dans de certains cas graves et selon des formes faciles à régler d’avance, une sorte d’arbitrage décisoire entre elle et la majorité au suffrage universel directement invoqué, directement consulté ; mode d’appel au peuple beaucoup moins violent et beaucoup plus parfait que l’ancien procédé monarchique constitutionnel, qui consistait à briser le parlement.

J’aurais compris qu’on dît…. ( Interruption et rumeurs à droite. )
Messieurs, il m’est impossible de ne pas faire une remarque que je soumets à la conscience de tous. Votre attitude, en ce moment, contraste étrangement avec l’attitude calme et digne de ce côté de l’assemblée ( la gauche ). ( Vives réclamations sur les bancs de la majorité.-Allons donc ! Allons donc ! -La clôture ! La clôture ! -Le silence se rétablit. L’orateur reprend : )

J’aurais compris qu’on dît : Il faut proclamer plus complètement et développer plus logiquement que ne le fait la constitution les quatre droits essentiels du peuple : Le droit à la vie matérielle, c’est-à-dire, dans l’ordre économique, le travail assuré….

M. GRESLAN.-C’est le droit au travail !

M. VICTOR HUGO continuant.-… L’assistance organisée, et, dans l’ordre pénal, la peine de mort abolie ;

Le droit à la vie intellectuelle et morale, c’est-à-dire l’enseignement gratuit, la conscience libre, la presse libre, la parole libre, l’art et la science libres ( Bravos ) ;

Le droit à la liberté, c’est-à-dire l’abolition de tout ce qui est entrave au mouvement et au développement moral, intellectuel, physique et industriel de l’homme ;

Enfin, le droit à la souveraineté, c’est-à-dire le suffrage universel dans toute sa plénitude, la loi faite et l’impôt voté par des législateurs élus et temporaires, la justice rendue par des juges élus et temporaires…. ( Exclamations à droite. )

A GAUCHE.-Écoutez ! écoutez !

PLUSIEURS MEMBRES A DROITE.-Parlez ! parlez !

M. VICTOR HUGO reprenant.-… La commune administrée par des magistrats élus et temporaires ; le jury progressivement étendu, élargi et développé ; le vote direct du peuple entier, par oui ou par non, dans de certaines grandes questions politiques ou sociales, et cela après discussion préalable et approfondie de chaque question au sein de l’assemblée nationale plaidant alternativement, par la voix de la majorité et par la voix de la minorité, le oui et le non devant le peuple, juge souverain. ( Rumeurs à droite.-Longue et vive approbation à gauche. )

Messieurs, en supposant que la nation et son gouvernement fussent vis-à-vis l’un de l’autre dans les conditions correctes et normales que j’indiquais tout à l’heure, j’aurais compris qu’on dît cela, et qu’on ajoutât :

La constitution de la république française doit être la charte même du progrès humain au dix-neuvième siècle, le testament immortel de la civilisation, la bible politique des peuples. Elle doit approcher aussi près que possible de la vérité sociale absolue. Il faut réviser la constitution.

Oui, cela, je l’aurais compris.

Mais qu’en plein dix-neuvième siècle, mais qu’en face des nations civilisées, mais qu’en présence de cet immense regard du genre humain, qui est fixé de toutes parts sur la France, parce que la France porte le flambeau, on vienne dire : Ce flambeau que la France porte et qui éclaire le monde, nous allons l’éteindre !…. ( Dénégations à droite. )

Qu’on vienne dire : Le premier peuple du monde a fait trois révolutions comme les dieux d’Homère faisaient trois pas. Ces trois révolutions qui n’en font qu’une, ce n’est pas une révolution locale, c’est la révolution humaine ; ce n’est pas le cri égoïste d’un peuple, c’est la revendication de la sainte équité universelle, c’est la liquidation des griefs généraux de l’humanité depuis que l’histoire existe ( Vive approbation à gauche.-Rires à droite ) ; c’est, après les siècles de l’esclavage, du servage, de la théocratie, de la féodalité, de l’inquisition, du despotisme sous tous les noms, du supplice humain sous toutes les formes, la proclamation auguste des droits de l’homme ! ( Acclamation. )

Après de longues épreuves, cette révolution a enfanté en France la république ; en d’autres termes, le peuple français, en pleine possession de lui-même et dans le majestueux exercice de sa toute-puissance, a fait passer de la région des abstractions dans la région des faits, a constitué et institué, et définitivement et absolument établi la forme de gouvernement la plus logique et la plus parfaite, la république, qui est pour le peuple une sorte de droit naturel comme la liberté pour l’homme. ( Murmures à droite.-Approbation à gauche. ) Le peuple français a taillé dans un granit indestructible et posé au milieu même du vieux continent monarchique la première assise de cet immense édifice de l’avenir, qui s’appellera un jour les États-Unis d’Europe ! ( Mouvement. Long éclat de rire à droite.) [Note : Ce mot, les États-Unis d’Europe, fit un effet d’étonnement. Il était nouveau. C’était la première fois qu’il était prononcé à la tribune. Il indigna la droite, et surtout l’égaya. Il y eut une explosion de rires, auxquels se mêlaient des apostrophes de toutes sortes. Le représentant Bancel en saisit au passage quelques-unes, et les nota. Les voici :

M. de Montalembert.-Les États-Unis d’Europe ! C’est trop fort. Hugo est fou.

M. Molé.-Les États-Unis d’Europe ! Voilà une idée ! Quelle extravagance !

M. Quentin-Bauchard.-Ces poëtes ! ( Note de l’éditeur. )] Cette révolution, inouïe dans l’histoire, c’est l’idéal des grands philosophes réalisé par un grand peuple, c’est l’éducation des nations par l’exemple de la France. Son but, son but sacré, c’est le bien universel, c’est une sorte de rédemption humaine. C’est l’ère entrevue par Socrate, et pour laquelle il a bu la ciguë ; c’est l’œuvre faite par Jésus-Christ, et pour laquelle il a été mis en croix ! ( Vives réclamations à droite.-Cris : A l’ordre ! -Applaudissements répétés à gauche. Longue et générale agitation. )

M. DE FONTAINE ET PLUSIEURS AUTRES.-C’est un blasphème !

M. DE HEECKEREN [Note : Plus tard sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.].-On devrait avoir le droit de siffler, si on applaudit des choses comme celles-là !

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, qu’on dise ce que je viens de dire ou du moins qu’on le voie, -car il est impossible de ne pas le voir, la révolution française, la république française, Bonaparte l’a dit, c’est le soleil ! -qu’on le voie donc et qu’on ajoute : Eh bien ! nous allons détruire tout cela, nous allons supprimer cette révolution, nous allons jeter bas cette république, nous allons arracher des mains de ce peuple le livre du progrès et y raturer ces trois dates : 1792, 1830, 1848 ; nous allons barrer le passage à cette grande insensée, qui fait toutes ces choses sans nous demander conseil, et qui s’appelle la providence. Nous allons faire reculer la liberté, la philosophie, l’intelligence, les générations ; nous allons faire reculer la France, le siècle, l’humanité en marche ; nous allons faire reculer Dieu ! ( Profonde sensation. ) Messieurs, qu’on dise cela, qu’on rêve cela, qu’on s’imagine cela, voilà ce que j’admire jusqu’à la stupeur, voilà ce que je ne comprends pas. ( A gauche : Très bien ! très bien ! -Rires à droite. )

Et qui êtes-vous pour faire de tels rêves ? Qui êtes-vous pour tenter de telles entreprises ? Qui êtes-vous pour livrer de telles batailles ? Comment vous nommez-vous ? Qui êtes-vous ?

Je vais vous le dire.

Vous vous appelez la monarchie, et vous êtes le passé.

La monarchie !

Quelle monarchie ? ( Rires et bruit à droite. )

M. ÉMILE DE GIRARDIN, au pied de la tribune.-Écoutez donc, messieurs ! nous vous avons écoutés hier.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, me voici dans la réalité ardente du débat.

Ce débat, ce n’est pas nous qui l’avons voulu, c’est vous. Vous devez, dans votre loyauté, le vouloir entier, complet, sincère. La question république ou monarchie est posée. Personne n’a plus le pouvoir, personne n’a plus le droit de l’éluder. Depuis plus de deux ans, cette question, sourdement et audacieusement agitée, fatigue la république ; elle pèse sur le présent, elle obscurcit l’avenir. Le moment est venu de s’en délivrer. Oui, le moment est venu de la regarder en face, le moment est venu de voir ce qu’elle contient. Cartes sur table ! Disons tout. ( Écoutez ! écoutez ! -Profond silence. )

Deux monarchies sont en présence. Je laisse de côté tout ce qui, aux yeux mêmes de ceux qui le proposent ou le sous-entendent, ne serait que transition et expédient. La fusion a simplifié la question. Deux monarchies sont en présence.-Deux monarchies seulement se croient en posture de demander la révision à leur bénéfice, et d’escamoter à leur profit la souveraineté du peuple.

Ces deux monarchies sont : la monarchie de principe, c’est-à-dire la légitimité ; et la monarchie de gloire, comme parlent certains journaux privilégiés ( rires et chuchotements ), c’est-à-dire l’empire.

Commençons par la monarchie de principe. A l’ancienneté d’abord.

Messieurs, avant d’aller plus loin, je le dis une fois pour toutes, quand je prononce, dans cette discussion, ce mot monarchie, je mets à part et hors du débat les personnes, les princes, les exilés, pour lesquels je n’ai au fond du cœur que la sympathie qu’on doit à des français et le respect qu’on doit à des proscrits ; sympathie et respect qui seraient bien plus profonds encore, je le déclare, si ces exilés n’étaient pas un peu proscrits par leurs amis. ( Très bien ! très bien ! )

Je reprends. Dans cette discussion, donc, c’est uniquement de la monarchie principe, de la monarchie dogme, que je parle ; et une fois les personnes mises à part, n’ayant plus en face de moi que le dogme royauté, j’entends le qualifier, moi législateur, avec toute la liberté de la philosophie et toute la sévérité de l’histoire.

Et d’abord, entendons-nous sur ces mots, dogme et principe. Je nie que la monarchie soit ni puisse être un principe ni un dogme. Jamais la monarchie n’a été qu’un fait. ( Rumeurs sur plusieurs bancs. )

Oui, je le répète en dépit des murmures, jamais la possession d’un peuple par un homme ou par une famille n’a été et n’a pu être autre chose qu’un fait. ( Nouvelles rumeurs. )

Jamais, -et, puisque les murmures persistent, j’insiste, -jamais ce soi-disant dogme en vertu duquel, -et ce n’est pas l’histoire du moyen âge que je vous cite, c’est l’histoire presque contemporaine, celle sur laquelle un siècle n’a pas encore passé, -jamais ce soi-disant dogme en vertu duquel il n’y a pas quatrevingts ans de cela, un électeur de Hesse vendait des hommes tant par tête au roi d’Angleterre pour les faire tuer dans la guerre d’Amérique ( dénégations irritées ), les lettres existent, les preuves existent, on vous les montrera quand vous voudrez… ( le silence se rétablit ) jamais, dis-je, ce prétendu dogme n’a pu être autre chose qu’un fait, presque toujours violent, souvent monstrueux. ( A gauche : C’est vrai ! c’est vrai ! )

Je le déclare donc, et je l’affirme au nom de l’éternelle moralité humaine, la monarchie est un fait, rien de plus. Or, quand le fait n’est plus, il n’en survit rien, et tout est dit. Il en est autrement du droit. Le droit, même quand il ne s’appuie plus sur le fait, même quand il n’a plus l’autorité matérielle, conserve l’autorité morale, et il est toujours le droit. C’est ce qui fait que d’une république étouffée il reste un droit, tandis que d’une monarchie écroulée il ne reste qu’une ruine. ( Applaudissements. ) Cessez donc, vous légitimistes, de nous adjurer au point de vue du droit. Vis-à-vis du droit du peuple, qui est la souveraineté, il n’y pas d’autre droit que le droit de l’homme, qui est la liberté. ( Très bien ! ) Hors de là, tout est chimère. Dire le droit du roi, dans le grand siècle où nous sommes, et à cette grande tribune où nous parlons, c’est prononcer un mot vide de sens.

Mais, si vous ne pouvez parler au nom du droit, parlerez-vous au nom du fait ? Invoquerez-vous l’utilité ? C’est beaucoup moins superbe, c’est quitter le langage du maître pour le langage du serviteur ; c’est se faire bien petit. Mais soit ! Examinons. Direz-vous que la stabilité politique naît de l’hérédité royale ? Direz-vous que la démocratie est mauvaise pour un état, et que la royauté est meilleure ? Voyons, je ne vais pas me mettre à feuilleter ici l’histoire, la tribune n’est pas un pupitre à in-folio ; -je reste dans les faits vivants, actuels, présents à toutes les mémoires. Parlez, quels sont vos griefs contre la république de 1848 ? Les émeutes ? Mais la monarchie avait les siennes. L’état des finances ? Mon Dieu ! je n’examine pas, ce n’est pas le moment, si depuis trois ans les finances de la république ont été bien démocratiquement conduites….

A DROITE.-Non ! fort heureusement pour elles !

M. VICTOR HUGO.-… Mais la monarchie constitutionnelle coûtait fort cher ; mais les gros budgets, c’est la monarchie constitutionnelle qui les a inventés. Je dis plus, car il faut tout dire, la monarchie proprement dite, la monarchie de principe, la monarchie légitime, qui se croit ou se prétend synonyme de stabilité, de sécurité, de prospérité, de propriété, la vieille monarchie historique de quatorze siècles, messieurs, faisait quelquefois, faisait volontiers banqueroute ! ( Rires et applaudissements. )

Sous Louis XIV, je vous cite la belle époque, le grand siècle, le grand règne, sous Louis XIV, on voit de temps en temps pâlir, c’est Boileau qui le dit, le rentier

A l’aspect d’un arrêt qui retranche un quartier.
Or, quels que soient les euphémismes d’un écrivain satirique qui flatte un roi, un arrêt qui retranche un quartier aux rentiers, messieurs, c’est la banqueroute. ( A gauche : Très bien ! -Rumeurs à droite.-Et les assignats ? )

Sous le régent, la monarchie empoche, ce n’est pas le mot noble, c’est le mot vrai ( on rit ), empoche trois cent cinquante millions par l’altération des monnaies ; c’était le temps où on pendait une servante pour cinq sous. Sous Louis XV, neuf banqueroutes en soixante ans.

UNE VOIX AU FOND A DROITE.-Et les pensions des poëtes !

M. Victor Hugo s’arrête.

A GAUCHE.-Méprisez cela ! Dédaignez ! Ne répondez pas !

M. VICTOR HUGO.-Je répondrai à l’honorable interrupteur que, trompé par certains journaux, il fait allusion à une pension qui m’a été offerte par le roi Charles X, et que j’ai refusée.

M. DE FALLOUX.-Je vous demande pardon, vous l’aviez sur la cassette du roi. ( Rumeurs à gauche. )

M. BAC.-Méprisez ces injures !

M. DE FALLOUX.-Permettez-moi de dire un mot.

M. VICTOR HUGO.-Vous voulez que je raconte le fait ? il m’honore ; je le veux bien.

M. DE FALLOUX.-Je vous demande pardon…. ( A gauche : C’est de la personnalité ! -On cherche le scandale ! -Laissez parler ! -N’interrompez pas ! -A l’ordre ! à l’ordre ! )

M. DE FALLOUX.-L’assemblée a pu observer que je n’ai pas cessé, depuis le commencement de la séance, de garder moi-même le plus profond silence, et même, de temps en temps, d’engager mes amis à le garder comme moi. Je demande seulement la permission de rectifier un fait matériel.

M. VICTOR HUGO.-Parlez !

M. DE FALLOUX.-L’honorable M. Victor Hugo a dit : « Je n’ai jamais touché de pension de la monarchie…. » .

M. VICTOR HUGO.-Non, je n’ai pas dit cela. ( Vives réclamations à droite, mêlées d’applaudissements et de rires ironiques. )

PLUSIEURS MEMBRES A GAUCHE, à M. Victor Hugo.-Ne répondez pas !

M. SOUBIES, à la droite.-Attendez les explications, au moins ; vos applaudissements sont indécents !

M. FRICHON, à M. de Falloux.-Ancien ministre de la république, vous la trahissez.

M. LAMARQUE.-C’est le venin des jésuites !

M. VICTOR HUGO, s’adressant à M. de Falloux, au milieu du bruit : -Je prie M. de Falloux d’obtenir de ses amis qu’ils veuillent bien permettre qu’on lui réponde. ( Bruit confus. )

M. DE FALLOUX.-Je fais ce que je puis.

A L’EXTRÊME GAUCHE.-Faites donc faire silence à droite, monsieur le président !

M. LE PRÉSIDENT.-On fait du bruit des deux côtés. ( A l’orateur. ) Vous voulez toujours tirer parti, à votre avantage, des interruptions ; je les condamne, mais je constate qu’il y a autant de bruit à gauche qu’à droite. ( Violentes réclamations et protestations à l’extrême gauche.-Les membres assis sur les bancs inférieurs de la gauche font des efforts pour ramener le silence. )

UN MEMBRE A GAUCHE.-Vous n’avez d’oreilles que pour notre côté.

M. LE PRÉSIDENT.-On interrompt des deux côtés. ( Non ! non ! -Si ! si ! ) Je vois, je constate…. ( Nouvelles exclamations bruyantes sur les mêmes bancs à gauche. )

Je constate que, depuis cinq minutes, M. Schoelcher et M. Grévy réclament le silence. ( Exclamations et protestations nouvelles à gauche.-M. Schoelcher prononce quelques mots que le bruit nous empêche de saisir. )

Je constate que vous-mêmes réclamez le silence depuis plusieurs minutes, monsieur Schoelcher et monsieur Grévy, je vous rends cette justice.

M. SCHŒLCHER.-Nous le réclamons, parce que nous nous sommes promis de tout entendre.

UN MEMBRE A L’EXTRÊME GAUCHE.-Le Moniteur répondra à M. le président.

M. LE PRÉSIDENT.-On peut nier un fait qui se passe dans un bureau, mais on ne peut pas nier un fait qui se passe à la face de l’assemblée. ( De vives apostrophes sont adressées de la gauche à M. le président. )

Il vous tarde de prendre vos allures accoutumées ! ( Exclamations à l’extrême gauche. )

UN MEMBRE.C’est à vous qu’il tarde de reprendre les vôtres….

D’AUTRES MEMBRES.-Ce sont des provocations.

M. LE PRÉSIDENT.-Je demande le silence des deux côtés.

M. ARNAUD (de l’Ariège.)-Ce sont des personnalités.

M. SAVATIER-LAROCHE.-Ce sont des provocations qu’on cherche à rendre injurieuses.

M. LE PRÉSIDENT.-Voulez-vous faire silence et écouter l’orateur ? ( Le silence se rétablit. )

M. VICTOR HUGO.-Je remercie l’honorable M. de Falloux. Je ne cherchais pas l’occasion de parler de moi. Il me la donne à propos d’un fait qui m’honore. ( A la droite. ) Écoutez ce que j’ai à vous dire. Vous avez ri les premiers ; vous êtes loyaux, je le pense, et je vous prédis que vous ne rirez pas les derniers. ( Sensation. )

UN MEMBRE A L’EXTRÊME DROITE.-Si !

M. VICTOR HUGO, à l’interrupteur.-En ce cas vous ne serez pas loyal. ( Bravos à gauche.-Un profond silence s’établit. )

J’avais dix-neuf ans….

UN MEMBRE A DROITE.-Ah ! bon, j’étais si jeune ! ( Longs murmures à gauche.-Cris : C’est indécent ! )

M. VICTOR HUGO, se tournant vers l’interrupteur.-L’homme capable d’une si inqualifiable interruption doit avoir le courage de se nommer. Je le somme de se nommer. ( Applaudissements à gauche.-Silence à droite.-Personne ne se nomme. )

Il se tait. Je le constate.

( Les applaudissements de la gauche redoublent.-Silence consterné à droite. )

M. VICTOR HUGO, reprenant.-J’avais dix-neuf ans ; je publiai un volume en vers. Louis XVIII, qui était un roi lettré, vous le savez, le lut et m’envoya une pension de deux mille francs. Cet acte fut spontané de la part du roi, je le dis à son honneur et au mien ; je reçus cette pension sans l’avoir demandée. La lettre que vous avez dans les mains, monsieur de Falloux, le prouve. ( M. de Falloux fait un signe d’assentiment.-Mouvement à droite. )

M. DE LAROCHEJAQUELEIN.-C’est très bien, monsieur Victor Hugo !

M. VICTOR HUGO.Plus tard, quelques années après, Charles X régnait, je fis une pièce de théâtre, Marion de Lorme ; la censure interdit la pièce, j’allai trouver le roi, je lui demandai de laisser jouer ma pièce, il me reçut avec bonté, mais refusa de lever l’interdit. Le lendemain, rentré chez moi, je reçus de la part du roi l’avis que, pour me dédommager de cet interdit, ma pension était élevée de deux mille francs à six mille. Je refusai. ( Long mouvement. ) J’écrivis au ministre que je ne voulais rien que ma liberté de poëte mon indépendance d’écrivain. ( Applaudissements prolongés à gauche.-Sensation même à droite. )

C’est là la lettre que vous tenez entre les mains. ( Bravo ! bravo ! ) Je dis dans cette lettre que je n’offenserai jamais le roi Charles X. J’ai tenu parole, vous le savez. ( Profonde sensation. )

M. DE LAROCHEJAQUELEIN.-C’est vrai ! dans de bien admirables vers !

M. VICTOR HUGO, à la droite.-Vous voyez, messieurs, que vous ne riez plus et que j’avais raison de remercier M. de Falloux. ( Oui ! oui ! Long mouvement.-Un membre rit au fond de la salle. )

A GAUCHE.-Allons donc ! c’est indécent !

PLUSIEURS MEMBRES DE LA DROITE, à M. Victor Hugo.-Vous avez bien fait.

M. SOUBIES.-Celui qui a ri aurait accepté le tout.

M. VICTOR HUGO.-Je disais donc que la monarchie faisait quelquefois banqueroute. Je rappelais que, sous le régent, la monarchie avait empoché trois cent cinquante millions par l’altération des monnaies. Je continue. Sous Louis XV, neuf banqueroutes.

Voulez-vous que je vous rappelle celles qui me viennent à l’esprit ? Les deux banqueroutes Desmaretz, les deux banqueroutes des frères Pâris, la banqueroute du Visa et la banqueroute du Système…. Est-ce assez de banqueroutes comme cela ? Vous en faut-il encore ? ( Longue hilarité à gauche. )

En voici d’autres du même règne ; la banqueroute du cardinal Fleury, la banqueroute du contrôleur général Silhouette, la banqueroute de l’abbé Terray ! Je nomme ces banqueroutes de la monarchie du nom des ministres qu’elles déshonorent dans l’histoire. Messieurs, le cardinal Dubois définissait la monarchie : Un gouvernement fort, parce qu’il fait banqueroute quand il veut. ( Nouveaux rires. )

Eh bien ! la république de 1848, elle, a-t-elle fait banqueroute ? Non, quoique, du côté de ce que je suis bien forcé d’appeler la monarchie, on le lui ait peut-être un peu conseillé. ( On rit encore à gauche, et même à droite. )

Messieurs, la république, qui n’a pas fait banqueroute, et qui, on peut l’affirmer, si on la laisse dans sa franche et droite voie de probité populaire, ne fera pas, ne fera jamais banqueroute ( A gauche : Non ! non ! ), la république de 1848 a-t-elle fait la guerre européenne ? Pas davantage.

Son attitude a peut-être été même un peu trop pacifique, et, je le dis dans l’intérêt même de la paix, son épée à demi tirée eût suffi pour faire rengainer bien des grands sabres.

Que lui reprochez-vous donc, messieurs les chefs des partis monarchiques, qui n’avez pas encore réussi, qui ne réussirez jamais à laver notre histoire contemporaine tout éclaboussée de sang par 1815 ? ( Mouvement. ) On a parlé de 1793, j’ai le droit de parler de 1815 ! ( Vive approbation à gauche. )

Que lui reprochez-vous donc, à la république de 1848 ? Mon Dieu ! il y a des accusations banales qui traînent dans tous vos journaux, et qui ne sont pas encore usées, à ce qu’il paraît, et que je retrouv ce matin même dans une circulaire pour la révision totale, « les commissaires de M. Ledru-Rollin ! les quarante-cinq centimes ! les conférences socialistes du Luxembourg ! » -Le Luxembourg ! ah ! oui, le Luxembourg ! voilà le grand grief ! Tenez, prenez garde au Luxembourg ; n’allez pas trop de ce côté-là, vous finiriez par y rencontrer le spectre du maréchal Ney ! ( Longue acclamation.-Applaudissements prolongés à gauche. )

M. DE RESSÉGUIER.-Vous y trouveriez votre fauteuil de pair de France !

M. LE PRÉSIDENT.-Vous n’avez pas la parole, monsieur de Rességuier.

UN MEMBRE A DROITE.-La Convention a guillotiné vingt-cinq généraux !

M. DE RESSÉGUIER.-Votre fauteuil de pair de France ! ( Bruit. )

M. LE PRÉSIDENT.-N’interrompez pas.

M. VICTOR HUGO.-Je crois, Dieu me pardonne, que M. de Rességuier me reproche d’avoir siégé parmi les juges du maréchal Ney ! ( Exclamations à droite.-Rires ironiques et approbatifs à gauche. )

M. DE RESSÉGUIER.-Vous vous méprenez….

M. LE PRÉSIDENT.-Veuillez vous asseoir ; gardez le silence, vous n’avez pas la parole.

M. DE RESSÉGUIER, s’adressant à l’orateur.-Vous vous méprenez formellement….

M. LE PRÉSIDENT.-Monsieur de Rességuier, je vous rappelle à l’ordre formellement.

M. DE RESSÉGUIER.-Vous vous méprenez avec intention.

M. LE PRÉSIDENT.-Je vous rappellerai à l’ordre avec inscription au procès-verbal, si vous méprisez tous mes avertissements.

M. VICTOR HUGO.-Hommes des anciens partis, je ne triomphe pas de ce qui est votre malheur, et, je vous le dis sans amertume, vous ne jugez pas votre temps et votre pays avec une vue juste, bienveillante et saine. Vous vous méprenez aux phénomènes contemporains. Vous criez à la décadence. Il y a une décadence en effet, mais, je suis bien forcé de vous l’avouer, c’est la vôtre. ( Rires à gauche.-Murmures à droite. )

Parce que la monarchie s’en va, vous dites : La France s’en va ! C’est une illusion d’optique. France et monarchie, c’est deux. La France demeure, la France grandit, sachez cela ! ( Très bien ! -Rires à droite. )

Jamais la France n’a été plus grande que de nos jours ; les étrangers le savent, et, chose triste à dire et que vos rires confirment, vous l’ignorez !

Le peuple français a l’âge de raison, et c’est précisément le moment que vous choisissez pour taxer ses actes de folie. Vous reniez ce siècle tout entier, son industrie vous semble matérialiste, sa philosophie vous semble immorale, sa littérature vous semble anarchique. ( Rires ironiques à droite.-Oui ! oui ! ) Vous voyez, vous continuez de confirmer mes paroles. Sa littérature vous semble anarchique, et sa science vous paraît impie. Sa démocratie, vous la nommez démagogie. ( Oui ! oui ! à droite. )

Dans vos jours d’orgueil, vous déclarez que notre temps est mauvais, et que, quant à vous, vous n’en êtes pas. Vous n’êtes pas de ce siècle. Tout est là. Vous en tirez vanité. Nous en prenons acte.

Vous n’êtes pas de ce siècle, vous n’êtes plus de ce monde, vous êtes morts ! C’est bien ! je vous l’accorde ! ( Rires et bravos. )

Mais, puisque vous êtes morts, ne revenez pas, laissez tranquilles les vivants. ( Rire général. )

M. DE TINGUY, à l’orateur.-Vous nous supposez morts ! monsieur le vicomte ?

M. LE PRÉSIDENT.-Vous ressuscitez, vous, monsieur de Tinguy !

M. DE TINGUY.-Je ressuscite le vicomte !

M. VICTOR HUGO, croisant les bras et regardant la droite en face.-Quoi ! vous voulez reparaître ! ( Nouvelle explosion d’hilarité et de bravos ! )

Quoi ! vous voulez recommencer ! Quoi ! ces expériences redoutables qui dévorent les rois, les princes, le faible comme Louis XVI, l’habile et le fort comme Louis-Philippe, ces expériences lamentables qui dévorent les familles nées sur le trône, des femmes augustes, des veuves saintes, des enfants innocents, vous n’en avez pas assez ! il vous en faut encore. ( Sensation. )

Mais vous êtes donc sans pitié et sans mémoire ! ! Mais, royalistes, nous vous demandons grâce pour ces infortunées familles royales !

Quoi ! vous voulez rentrer dans cette série de faits nécessaires, dont toutes les phases sont prévues et pour ainsi dire marquées d’avance comme des étapes inévitables ! Vous voulez rentrer dans ces engrenages formidables de la destinée ! ( Mouvement. ) Vous voulez rentrer dans ce cycle terrible, toujours le même, plein d’écueils, d’orages et de catastrophes, qui commence par des réconciliations plâtrées de peuple à roi, par des restaurations, par les Tuileries rouvertes, par des lampions allumés, par des harangues et des fanfares, par des sacres et des fêtes ; qui se continue par des empiétements du trône sur le parlement, du pouvoir sur le droit, de la royauté sur la nation, par des luttes dans les chambres, par des résistances dans la presse, par des murmures dans l’opinion, par des procès où le zèle emphatique et maladroit des magistrats qui veulent plaire avorte devant l’énergie des écrivains ( vifs applaudissements à gauche ) ; qui se continue par des violations de chartes où trempent les majorités complices ( Très bien ! ), par des lois de compression, par des mesures d’exception, par des exactions de police d’une part, par des sociétés secrètes et des conspirations de l’autre, -et qui finit….-Mon Dieu ! cette place que vous traversez tous les jours pour venir à ce palais ne vous dit donc rien ? ( Interruption.-A l’ordre ! à l’ordre ! ) Mais frappez du pied ce pavé qui est à deux pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez encore ; frappez du pied ce pavé fatal, et vous en ferez sortir, à votre choix, l’échafaud qui précipite la vieille monarchie dans la tombe, ou le fiacre qui emporte la royauté nouvelle dans l’exil ! ( Applaudissements prolongés à gauche.-Murmures. Exclamations. )

M. LE PRÉSIDENT.-Mais qui menacez-vous donc là ? Est-ce que vous menacez quelqu’un ? Écartez cela !

M. VICTOR HUGO.-C’est un avertissement.

M. LE PRÉSIDENT.-C’est un avertissement sanglant ; vous passez toutes les bornes, et vous oubliez la question de la révision. C’est une diatribe, ce n’est pas un discours.

M. VICTOR HUGO.-Comment ! il ne me sera pas permis d’invoquer l’histoire !

UNE VOIX A GAUCHE, s’adressant au président.-On met la constitution et la république en question, et vous ne laissez pas parler !

M. LE PRÉSIDENT.-Vous tuez les vivants et vous évoquez les morts ; ce n’est pas de la discussion. ( Interruption prolongée.-Rires approbatifs à droite. )

M. VICTOR HUGO.-Comment, messieurs, après avoir fait appel, dans les termes les plus respectueux, à vos souvenirs ; après vous avoir parlé de femmes augustes, de veuves saintes, d’enfants innocents ; après avoir fait appel à votre mémoire, il ne me sera pas permis, dans cette enceinte, après ce qui a été entendu ces jours passés, il ne me sera pas permis d’invoquer l’histoire comme un avertissement, entendez-le bien, mais non comme une menace ? il ne me sera pas permis de dire que les restaurations commencent d’une manière qui semble triomphante et finissent d’une manière fatale ? il ne me sera pas permis de vous dire que les restaurations commencent par l’éblouissement d’elles-mêmes, et finissent par ce qu’on a appelé des catastrophes, et d’ajouter que si vous frappez du pied ce pavé fatal qui est à deux pas de vous, à deux pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez encore, vous en ferez sortir, à votre choix, l’échafaud qui précipite la vieille monarchie dans la tombe, ou le fiacre qui emporte la royauté nouvelle dans l’exil ! ( Rumeurs à droite.-Bravos à gauche ) il ne me sera pas permis de dire cela ! Et on appelle cela une discussion libre ! ( Vive approbation et applaudissements à gauche. )

M. EMILE DE GIRARDIN.-Elle l’était hier !

M. VICTOR HUGO.-Ah ! je proteste ! Vous voulez étouffer ma voix ; mais on l’entendra cependant…. ( Réclamations à droite. ) On l’entendra.

Les hommes habiles qui sont parmi vous, et il y en a, je ne fais nulle difficulté d’en convenir….

UNE VOIX A DROITE.-Vous êtes bien bon !

M. VICTOR HUGO.-Les hommes habiles qui sont parmi vous se croient forts en ce moment, parce qu’ils s’appuient sur une coalition des intérêts effrayés. Étrange point d’appui que la peur ! mais, pour faire le mal, c’en est un.-Messieurs, voici ce que j’ai à dire à ces hommes habiles. Avant peu, et quoi que vous fassiez, les intérêts se rassureront ; et, à mesure qu’ils reprendront confiance, vous la perdrez.

Oui, avant peu, les intérêts comprendront qu’à l’heure qu’il est, qu’au dix-neuvième siècle, après l’échafaud de Louis XVI….

M. DE MONTEBELLO.-Encore !

M. VICTOR HUGO.-… Après l’écroulement de Napoléon, après l’exil de Charles X, après la chute de Louis-Philippe, après la révolution française, en un mot, c’est-à-dire après le renouvellement complet, absolu, prodigieux, des principes, des croyances, des opinions, des situations, des influences et des faits, c’est la république qui est la terre ferme, et c’est la monarchie qui est l’aventure. ( Applaudissements. )

Mais l’honorable M. Berryer vous disait hier : Jamais la France ne s’accommodera de la démocratie !

A DROITE.-Il n’a pas dit cela !

UNE VOIX A DROITE.-Il a dit de la république.

M. DE MONTEBELLO.-C’est autre chose.

M. MATHIEU BOURDON.-C’est tout différent.

M. VICTOR HUGO.-Cela m’est égal ! j’accepte votre version. M. Berryer nous a dit : Jamais la France ne s’accommodera de la république.

Messieurs, il y a trente-sept ans, lors de l’octroi de la charte de Louis XVIII, tous les contemporains l’attestent, les partisans de la monarchie pure, les mêmes qui traitaient Louis XVIII de révolutionnaire et Chateaubriand de jacobin ( hilarité ), les partisans de la monarchie pure s’épouvantaient de la monarchie représentative, absolument comme les partisans de la monarchie représentative s’épouvantent aujourd’hui de la république.

On disait alors : C’est bon pour l’Angleterre ! exactement comme M. Berryer dit aujourd’hui : C’est bon pour l’Amérique ! ( Très bien ! très bien ! )

On disait : La liberté de la presse, les discussions de la tribune, des orateurs d’opposition, des journalistes, tout cela, c’est du désordre ; jamais la France ne s’y fera ! Eh bien ! elle s’y est faite !

M. DE TINGUY.-Et défaite.

M. VICTOR HUGO.-La France s’est faite au régime parlementaire, elle se fera de même au régime démocratique. C’est un pas en avant. Voilà tout. ( Mouvement. )

Après la royauté représentative, on s’habituera au surcroît de mouvement des mœurs démocratiques, de même qu’après la royauté absolue on avait fini par s’habituer au surcroît d’excitation des mœurs libérales, et la prospérité publique se dégagera à travers les agitations républicaines, comme elle se dégageait à travers les agitations constitutionnelles ; elle se dégagera agrandie et affermie. Les aspirations populaires se régleront comme les passions bourgeoises se sont réglées. Une grande nation comme la France finit toujours par retrouver son équilibre. Sa masse est l’élément de sa stabilité.

Et puis, il faut bien vous le dire, cette presse libre, cette tribune souveraine, ces comices populaires, ces multitudes faisant cercle autour d’une idée, ce peuple, auditoire tumultueux et tribunal patient, ces légions de votes gagnant des batailles là où l’émeute en perdait, ces tourbillons de bulletins qui couvrent la France à un jour donné, tout ce mouvement qui vous effraye n’est autre chose que la fermentation même du progrès ( Très bien ! ), fermentation utile, nécessaire, saine, féconde, excellente ! Vous prenez cela pour la fièvre ? C’est la vie. ( Longs applaudissements. )

Voilà ce que j’ai à répondre à M. Berryer.

Vous le voyez, messieurs, ni l’utilité, ni la stabilité politique, ni la sécurité financière, ni la prospérité publique, ni le droit, ni le fait, ne sont du côté de la monarchie dans ce débat.

Maintenant, car il faut bien en venir là, quelle est la moralité de cette agression contre la constitution, qui masque une agression contre la république ?

Messieurs, j’adresse ceci en particulier aux anciens, aux chefs vieillis, mais toujours prépondérants, du parti monarchique actuel, à ces chefs qui ont fait, comme nous, partie de l’assemblée constituante, à ces chefs avec lesquels je ne confonds pas, je le déclare, la portion jeune et généreuse de leur parti, qui ne les suit qu’à regret.

Du reste, je ne veux certes offenser personne, j’honore tous les membres de cette assemblée, et s’il m’échappait quelque parole qui pût froisser qui que ce soit parmi mes collègues, je la retire d’avance. Mais enfin, pourtant, il faut bien que je le dise, il y a eu des royalistes autrefois….

M. CALLET.-Vous en savez quelque chose. ( Exclamations à gauche.-N’interrompez pas ! )

M. CHARRAS, à M. Victor Hugo.-Descendez de la tribune.

M. VICTOR HUGO.-C’est évident ! il n’y a plus de liberté de tribune ! ( Réclamations à droite. )

M. LE PRÉSIDENT.-Demandez à M. Michel (de Bourges) si la liberté de la tribune est supprimée.

M. SOUBIES.Elle doit exister pour tous et non pour un seul.

M. LE PRÉSIDENT.-Monsieur, l’assemblée est la même ; les orateurs changent. C’est à l’orateur à faire l’auditeur, on vous l’a dit avant-hier ; c’est M. Michel (de Bourges) qui vous l’a dit.

M. LAMARQUE.-Il a dit le contraire.

M. LE PRÉSIDENT.-C’est ma variante.

M. MICHEL (de Bourges), de sa place.-Monsieur le président, voulez-vous me permettre un mot ? ( Signe d’assentiment de M. le président. )

Vous avez changé les termes de ce que j’ai dit hier. Ce que j’ai dit ne vient pas de moi ; c’est le plus grand orateur du dix-septième siècle qui l’a dit, c’est Bossuet. Il n’a pas dit que l’orateur faisait l’auditeur ; il a dit que c’était l’auditeur qui faisait l’orateur. ( A gauche : Très bien ! très bien ! )

M. LE PRÉSIDENT.-En renversant les termes de la proposition, il y a une vérité qui est la même ; c’est qu’il y a une réaction nécessaire de l’orateur sur l’assemblée et de l’assemblée sur l’orateur. C’est Royer-Collard lui-même qui, désespérant de faire écouter certaines choses, disait aux orateurs : Faites qu’on vous écoute.

Je déclare qu’il m’est impossible de procurer le même silence à tous les orateurs, quand ils sont aussi dissemblables. ( Hilarité bruyante sur les bancs de la majorité.-Rumeurs et interpellations diverses à gauche. )

M. ÉMILE DE GIRARDIN.-Est-ce que l’injure est permise ?

M. CHARRAS.-C’est une impertinence.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, à la citation de Royer-Collard que vient de me faire notre honorable président, je répondrai par une citation de Sheridan, qui disait : -Quand le président cesse de protéger l’orateur, c’est que la liberté de la tribune n’existe plus. -( Applaudissements répétés à gauche. )

M. ARNAUD (de l’Ariége).-Jamais on n’a vu une pareille partialité.

M. VICTOR HUGO.-Eh bien ! messieurs, que vous disais-je ? Je vous disais, -et je rattache cela à l’agression dirigée aujourd’hui contre la république, et je prétends tirer la moralité de cette agression-je vous disais : Il y a eu des royalistes autrefois. Ces royalistes-là, dont des hasards de famille ont pu mêler des traditions à l’enfance de plusieurs d’entre nous, à la mienne en particulier, puisqu’on me le rappelle sans cesse ; ces royalistes-là, nos pères les ont connus, nos pères les ont combattus. Eh bien ! ces royalistes-là, quand ils confessaient leurs principes, c’était le jour du danger, non le lendemain ! ( A gauche.-Très bien ! très bien ! )

M. VICTOR HUGO.-Ce n’étaient pas des citoyens, soit ; mais c’étaient des chevaliers. Ils faisaient une chose odieuse, insensée, abominable, impie, la guerre civile ; mais ils la faisaient, ils ne la provoquaient pas ! ( Vive approbation à gauche. )

Ils avaient devant eux, debout, toute jeune, toute terrible, toute frémissante, cette grande et magnifique et formidable révolution française qui envoyait contre eux les grenadiers de Mayence, et qui trouvait plus facile d’avoir raison de l’Europe que de la Vendée.

M. DE LA ROCHEJAQUELEIN.-C’est vrai !

M. VICTOR HUGO.-Ils l’avaient devant eux, et ils lui tenaient tête. Ils ne rusaient pas avec elle, ils ne se faisaient pas renards devant le lion ! ( Applaudissements à gauche.-M. de la Rochejaquelein fait un signe d’assentiment. )

M. VICTOR HUGO, à M. de la Rochejaquelein.-Ceci s’adresse à vous et à votre nom ; c’est un hommage que je rends aux vôtres.

Ils ne venaient pas lui dérober, à cette révolution, l’un après l’autre, et pour s’en servir contre elle, ses principes, ses conquêtes, ses armes ! ils cherchaient à la tuer, non à la voler ! ( Bravos à gauche. )

Ils jouaient franc jeu, en hommes hardis, en hommes convaincus, en hommes sincères qu’ils étaient ; et ils ne venaient pas en plein midi, en plein soleil, ils ne venaient pas en pleine assemblée de la nation, balbutier : Vive le roi ! après avoir crié vingt-sept fois dans un seul jour : Vive la République ! ( Acclamations à gauche.-Bravos prolongés. )

M. EMILE DE GIRARDIN.-Ils n’envoyaient pas d’argent pour les blessés de Février.

M. VICTOR HUGO.Messieurs, je résume d’un mot tout ce que je viens de dire. La monarchie de principe, la légitimité, est morte en France. C’est un fait qui a été et qui n’est plus.

La légitimité restaurée, ce serait la révolution à l’état chronique, le mouvement social remplacé par les commotions périodiques. La république, au contraire, c’est le progrès fait gouvernement. ( Approbation. )

Finissons de ce côté.

M. LÉO DE LABORDE.-Je demande la parole. ( Mouvement prolongé. )

M. MATHIEU BOURDON.-La légitimité se réveille.

( M. de Falloux se lève. )

A GAUCHE.-Non ! non ! n’interrompez pas ! n’interrompez pas !

( M. de Falloux s’approche de la tribune.-Agitation bruyante. )

A GAUCHE, à l’orateur.-Ne laissez pas parler ! ne laissez pas parler !

M. VICTOR HUGO.-Je ne permets pas l’interruption.

( M. de Falloux monte au bureau auprès du président, et échange avec lui quelques paroles. )

M. VICTOR HUGO.-L’honorable M. de Falloux oublie tellement les droits de l’orateur, que ce n’est plus à l’orateur qu’il demande la permission de l’interrompre, c’est au président.

M. DE FALLOUX, revenant au pied de la tribune.-Je vous demande la permission de vous interrompre.

M. VICTOR HUGO.-Je ne vous la donne pas.

M. LE PRÉSIDENT.-Vous avez la parole, monsieur Victor Hugo.

M. VICTOR HUGO.-Mais des publicistes d’une autre couleur, des journaux d’une autre nuance, qui expriment bien incontestablement la pensée du gouvernement, car ils sont vendus dans les rues avec privilège et à l’exclusion de tous les autres, ces journaux nous crient :

-Vous avez raison ; la légitimité est impossible, la monarchie de droit divin et de principe est morte ; mais l’autre, la monarchie de gloire, l’empire, celle-là est non-seulement possible, mais nécessaire.
Voilà le langage qu’on nous tient.

Ceci est l’autre côté de la question monarchie. Examinons.

Et d’abord, la monarchie de gloire, dites-vous ! Tiens ! vous avez de la gloire ? Montrez-nous-la ! ( Hilarité. ) Je serais curieux de voir de la gloire sous ce gouvernement-ci ! ( Rires et applaudissements à gauche. )

Voyons ! votre gloire, où est-elle ? Je la cherche. Je regarde autour de moi. De quoi se compose-t-elle ?

M. LEPIC.-Demandez à votre père !

M. VICTOR HUGO.-Quels en sont les éléments ? Qu’est-ce que j’ai devant moi ? Qu’est-ce que nous avons devant les yeux ? Toutes nos libertés prises au piège l’une après l’autre et garrottées ; le suffrage universel trahi, livré, mutilé ; les programmes socialistes aboutissant à une politique jésuite ; pour gouvernement, une immense intrigue ( mouvement ), l’histoire dira peut-être un complot… ( vive sensation ) je ne sais quel sous-entendu inouï qui donne à la république l’empire pour but, et qui fait de cinq cent mille fonctionnaires une sorte de franc-maçonnerie bonapartiste au milieu de la nation ! toute réforme ajournée ou bafouée, les impôts improportionnels et onéreux au peuple maintenus ou rétablis, l’état de siège pesant sur cinq départements, Paris et Lyon mis en surveillance, l’amnistie refusée, la transportation aggravée, la déportation votée, des gémissements à la kasbah de Bone, des tortures à Belle-Isle, des casemates où l’on ne veut pas laisser pourrir des matelas, mais où on laisse pourrir des hommes !… ( sensation ) la presse traquée, le jury trié, pas assez de justice et beaucoup trop de police, la misère en bas, l’anarchie en haut, l’arbitraire, la compression, l’iniquité ! au dehors, le cadavre de la république romaine ! ( Bravos à gauche. )

VOIX A DROITE.-C’est le bilan de la république.

M. LE PRÉSIDENT.-Laissez donc ; n’interrompez pas. Cela constate que la tribune est libre. Continuez. ( Très bien ! très bien ! à gauche. )

M. CHARRAS.-Libre malgré vous.

M. VICTOR HUGO.-… La potence, c’est-à-dire l’Autriche ( mouvement ), debout sur la Hongrie, sur la Lombardie, sur Milan, sur Venise ; la Sicile livrée aux fusillades ; l’espoir des nationalités dans la France détruit ; le lien intime des peuples rompu ; partout le droit foulé aux pieds, au nord comme au midi, à Cassel comme à Palerme ; une coalition de rois latente et qui n’attend que l’occasion ; notre diplomatie muette, je ne veux pas dire complice ; quelqu’un qui est toujours lâche devant quelqu’un qui est toujours insolent ; la Turquie laissée sans appui contre le czar et forcée d’abandonner les proscrits ; Kossuth, agonisant dans un cachot de l’Asie Mineure ; voilà où nous en sommes ! La France baisse la tête, Napoléon tressaille de honte dans sa tombe, et cinq ou six mille coquins crient : Vive l’empereur ! Est-ce tout cela que vous appelez votre gloire, par hasard ? ( Profonde agitation. )

M. DE LADEVANSAYE.-C’est la république qui nous a donné tout cela !

M. LE PRÉSIDENT.-C’est aussi au gouvernement de la république qu’on reproche tout cela !

M. VICTOR HUGO.-Maintenant, votre empire, causons-en, je le veux bien. ( Rires à gauche. )

M. VIEILLARD [Note : Sénateur, sous l’empire, à 30, 000 francs par an.]-Personne n’y songe, vous le savez bien.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, des murmures tant que vous voudrez, mais pas d’équivoques. On me crie : Personne ne songe à l’empire. J’ai pour habitude d’arracher les masques.

Personne ne songe à l’empire, dites-vous ? Que signifient donc ces cris payés de : Vive l’empereur ? Une simple question : Qui les paye ?

Personne ne songe à l’empire, vous venez de l’entendre ! Que signifient donc ces paroles du général Changarnier, ces allusions aux prétoriens en débauche applaudies par vous ? Que signifient ces paroles de M. Thiers, également applaudies par vous : L’empire est fait ?

Que signifie ce pétitionnement ridicule et mendié pour la prolongation des pouvoirs ?

Qu’est-ce que la prolongation, s’il vous plaît ? C’est le consulat à vie. Où mène le consulat à vie ? A l’empire ! Messieurs, il y a là une intrigue ! Une intrigue, vous dis-je ! J’ai le droit de la fouiller. Je la fouille. Allons ! le grand jour sur tout cela !

Il ne faut pas que la France soit prise par surprise et se trouve, un beau matin, avoir un empereur sans savoir pourquoi ! ( Applaudissements. )

Un empereur ! Discutons un peu la prétention.

Quoi ! parce qu’il y a eu un homme qui a gagné la bataille de Marengo, et qui a régné, vous voulez régner, vous qui n’avez gagné que la bataille de Satory ! ( Rires. )

A GAUCHE.-Très bien ! très bien ! -Bravo !

M. ÉMILE DE GIRARDIN.-Il l’a perdue.

M. FERDINAND BARROT [Note : Sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.]-Il y a trois ans qu’il gagne une bataille, celle de l’ordre contre l’anarchie.

M. VICTOR HUGO.-Quoi ! parce que, il y a dix siècles de cela, Charlemagne, après quarante années de gloire, a laissé tomber sur la face du globe un sceptre et une épée tellement démesurés que personne ensuite n’a pu et n’a osé y toucher, -et pourtant il y a eu dans l’intervalle des hommes qui se sont appelés Philippe-Auguste, François Ier, Henri IV, Louis XIV ! Quoi ! parce que, mille ans après, car il ne faut pas moins d’une gestation de mille années à l’humanité pour reproduire de pareils hommes, parce que, mille ans après, un autre génie est venu, qui a ramassé ce glaive et ce sceptre, et qui s’est dressé debout sur le continent, qui a fait l’histoire gigantesque dont l’éblouissement dure encore, qui a enchaîné la révolution en France et qui l’a déchaînée en Europe, qui a donné à son nom, pour synonymes éclatants, Rivoli, Iéna, Essling, Friedland, Montmirail ! Quoi ! parce que, après dix ans d’une gloire immense, d’une gloire presque fabuleuse à force de grandeur, il a, à son tour, laissé tomber d’épuisement ce sceptre et ce glaive qui avaient accompli tant de choses colossales, vous venez, vous, vous voulez, vous, les ramasser après lui, comme il les a ramassés, lui, Napoléon, après Charlemagne, et prendre dans vos petites mains ce sceptre des titans, cette épée des géants ! Pour quoi faire ? ( Longs applaudissements. ) Quoi ! après Auguste, Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! ( La gauche applaudit, la droite crie. La séance est interrompue pendant plusieurs minutes. Tumulte inexprimable. )

A GAUCHE.-Monsieur le président, nous avons écouté M. Berryer ; la droite doit écouter M. Victor Hugo. Faites taire la majorité.

M. SAVATIER-LAROCHE.-On doit le respect aux grands orateurs. ( A gauche : Très bien ! )

M. DE LA MOSKOWA [Note : Sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.]-M. le président devrait faire respecter le gouvernement de la république dans la personne du président de la république.

M. LEPIC [Note : Plus tard, aide de camp de l’empereur.]-On déshonore la république !

M. DE LA MOSKOWA.-Ces messieurs crient : Vive la république ! et insultent le président.

M. ERNEST DE GIRARDIN.-Napoléon Bonaparte a eu six millions de suffrages ; vous insultez l’élu du peuple ! ( Vive agitation au banc des ministres.-M. le président essaye en vain de se faire entendre au milieu du bruit. )

M. DE LA MOSKOWA.-Et, sur les bancs des ministres, pas un mot d’indignation n’éclate à de pareilles paroles !

M. BAROCHE, ministre des affaires étrangères [Note : Président du conseil d’état de l’empire, à 150, 000 francs par an.]-Discutez, mais n’insultez pas.

M. LE PRÉSIDENT.-Vous avez le droit de contester l’abrogation de l’art. 45 en termes de droit, mais vous n’avez pas le droit d’insulter ! ( Les applaudissements de l’extrême gauche redoublent et couvrent la voix de M. le président. )

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.-Vous discutez des projets qu’on n’a pas, et vous insultez ! ( Les applaudissements de l’extrême gauche continuent. )

UN MEMBRE DE L’EXTRÊME GAUCHE.-Il fallait défendre la république hier quand on l’attaquait !

M. LE PRÉSIDENT.-L’opposition a affecté de couvrir d’applaudissements et mon observation et celle de M. le ministre, que la mienne avait précédée.
Je disais à M. Victor Hugo qu’il a parfaitement le droit de contester la convenance de demander la révision de l’art. 45 en termes de droit, mais qu’il n’a pas le droit de discuter, sous une forme insultante, une candidature personnelle qui n’est pas en jeu.

VOIX A L’EXTRÊME GAUCHE.-Mais si, elle est en jeu.

M. CHARRAS.-Vous l’avez vue vous-même à Dijon, face à face.

M. LE PRÉSIDENT.-Je vous rappelle à l’ordre ici, parce que je suis président ; à Dijon, je respectais les convenances, et je me suis tu.

M. CHARRAS.-On ne les a pas respectées envers vous.

M. VICTOR HUGO.-Je réponds à M. le ministre et à M. le président, qui m’accusent d’offenser M. le président de la république, qu’ayant le droit constitutionnel d’accuser M. le président de la république, j’en userai le jour où je le jugerai convenable, et je ne perdrai pas mon temps à l’offenser ; mais ce n’est pas l’offenser que de dire qu’il n’est pas un grand homme. ( Vives réclamations sur quelques bancs de la droite. )

M. BRIFFAUT.-Vos insultes ne peuvent aller jusqu’à lui.

M. DE CAULAINCOURT.-Il y a des injures qui ne peuvent l’atteindre, sachez-le bien !

M. LE PRÉSIDENT.-Si vous continuez après mon avertissement, je vous rappellerai à l’ordre.

M. VICTOR HUGO.-Voici ce que j’ai à dire, et M. le président ne m’empêchera pas de compléter mon explication. ( Vive agitation. )

Ce que nous demandons à M. le président responsable de la république, ce que nous attendons de lui, ce que nous avons le droit d’attendre fermement de lui, ce n’est pas qu’il tienne le pouvoir en grand homme, c’est qu’il le quitte en honnête homme.

A GAUCHE.-Très bien ! très bien !

M. CLARY [Note : Sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.] Ne le calomniez pas, en attendant.

M. VICTOR HUGO.-Ceux qui l’offensent, ce sont ceux de ses amis qui laissent entendre que le deuxième dimanche de mai il ne quittera pas le pouvoir purement et simplement, comme il le doit, à moins d’être un séditieux.

VOIX A GAUCHE.-Et un parjure !

M. VIEILLARD [Note : Sénateur de l’empire.]-Ce sont là des calomnies, M. Victor Hugo le sait bien.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs de la majorité, vous avez supprimé la liberté de la presse ; voulez-vous supprimer la liberté de la tribune ? ( Mouvement. ) Je ne viens pas demander de la faveur, je viens demander de la franchise. Le soldat qu’on empêche de faire son devoir brise son épée ; si la liberté de la tribune est morte, dites-le-moi, afin que je brise mon mandat. Le jour où la tribune ne sera plus libre, j’en descendrai pour n’y plus remonter. ( A droite : Le beau malheur ! ) La tribune sans liberté n’est acceptable que pour l’orateur sans dignité. ( Profonde sensation. )

Eh bien ! si la tribune est respectée, je vais voir. Je continue.

Non ! après Napoléon le Grand, je ne veux pas de Napoléon le Petit !

Allons ! respectez les grandes choses. Trêve aux parodies ! Pour qu’on puisse mettre un aigle sur les drapeaux, il faut d’abord avoir un aigle aux Tuileries ! Où est l’aigle ? ( Longs applaudissements. )

M. LÉON FAUCHER.-L’orateur insulte le président de la république. ( Oui ! oui ! à droite. )

M. LE PRESIDENT.-Vous offensez le président de la république. ( Oui ! oui ! à droite.-M. Abbatucci [Note : Ministre de la justice de l’empire, 120, 000 francs par an.] gesticule vivement. )

M. VICTOR HUGO.-Je reprends.

Messieurs, comme tout le monde, comme vous tous, j’ai tenu dans mes mains ces journaux, ces brochures, ces pamphlets impérialistes ou césaristes, comme on dit aujourd’hui. Une idée me frappe, et il m’est impossible de ne pas la communiquer à l’assemblée. ( Agitation. L’orateur poursuit : ) Oui, il m’est impossible de ne pas la laisser déborder devant cette assemblée. Que dirait ce soldat, ce grand soldat de la France, qui est couché là, aux Invalides, et à l’ombre duquel on s’abrite, et dont on invoque si souvent et si étrangement le nom ? que dirait ce Napoléon qui, parmi tant de combats prodigieux, est allé, à huit cents lieues de Paris, provoquer la vieille barbarie moscovite à ce grand duel de 1812 ? que dirait ce sublime esprit qui n’entrevoyait qu’avec horreur la possibilité d’une Europe cosaque, et qui, certes, quels que fussent ses instincts d’autorité, lui préférait l’Europe républicaine ? que dirait-il, lui ! si, du fond de son tombeau, il pouvait voir que son empire, son glorieux et belliqueux empire, a aujourd’hui pour panégyristes, pour apologistes, pour théoriciens et pour reconstructeurs, qui ? des hommes qui, dans notre époque rayonnante et libre, se tournent vers le nord avec un désespoir qui serait risible, s’il n’était monstrueux ? des hommes qui, chaque fois qu’ils nous entendent prononcer les mots démocratie, liberté, humanité, progrès, se couchent à plat ventre avec terreur et se collent l’oreille contre terre pour écouter s’ils n’entendront pas enfin venir le canon russe !

( Longs applaudissements à gauche. Clameurs à droite.-Toute la droite se lève et couvre de ses cris les dernières paroles de l’orateur.-A l’ordre ! à l’ordre ! à l’ordre. )

( Plusieurs ministres se lèvent sur leurs bancs et protestent avec vivacité contre les paroles de l’orateur. Le tumulte va croissant. Des apostrophes violentes sont lancées à l’orateur par un grand nombre de membres. MM. Bineau [Note : Sénateur, 30, 000 francs, et ministre des finances de l’empire, 120, 000 francs ; total, 150, 000 francs par an.], le général Gourgaud et plusieurs autres représentants siégeant sur les premiers bancs de la droite se font remarquer par leur animation. )

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. [Note : Le même Baroche.] -Vous savez bien que cela n’est pas vrai ! Au nom de la France, nous protestons !

M. DE RANCÉ. [Note : Commissaire général de police de l’empire, à 40, 000 francs par an.]-Nous demandons le rappel à l’ordre.

M. DE CROUSEILHES, ministre de l’instruction publique. [Note : Sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.]Faites une application personnelle de vos paroles ! A qui les appliquez-vous ? Nommez ! nommez !

M. LE PRÉSIDENT.-Je vous rappelle à l’ordre, monsieur Yictor Hugo, parce que, malgré mes avertissements, vous ne cessez pas d’insulter.

QUELQUES VOIX A DROITE.-C’est un insulteur à gages !

M. CHAPOT.-Que l’orateur nous dise à qui il s’adresse.

M. DE STAPLANDE.-Nommez ceux que vous accusez, si vous en avez le courage ! ( Agitation tumultueuse. )

VOIX DIVERSES A DROITE.-Vous êtes un infâme calomniateur.-C’est une lâcheté et une insolence. ( A l’ordre ! à l’ordre ! )

M. LE PRÉSIDENT.-Avec le bruit que vous faites, vous avez empêché d’entendre le rappel à l’ordre que j’ai prononcé.

M. VICTOR HUGO.-Je demande à m’expliquer. ( Murmures bruyants et prolongés. )

M. DE HEECKEREN [Note : Sénateur de l’empire.]-Laissez, laissez-le jouer sa pièce !

M. LÉON FAUCHER, ministre de l’intérieur.-L’orateur…. ( Interruption à gauche. ) L’orateur….

A GAUCHE.-Vous n’avez pas la parole !

M. LE PRÉSIDENT.-Laissez M. Victor Hugo s’expliquer. Il est rappelé à l’ordre.

M. LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR.-Comment ! messieurs, un orateur pourra insulter ici le président de la république…. ( Bruyante interruption à gauche. )

M. VICTOR HUGO.-Laissez-moi m’expliquer ! je ne vous cède pas la parole.

M. LE PRÉSIDENT.-Vous n’avez pas la parole. Ce n’est pas à vous à faire la police de l’assemblée. M. Victor Hugo est rappelé à l’ordre ; il demande à s’expliquer ; je lui donne la parole, et vous rendrez la police impossible si vous voulez usurper mes fonctions.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, vous allez voir le danger des interruptions précipitées. ( Plus haut ! plus haut ! ) J’ai été rappelé à l’ordre, et un honorable membre que je n’ai pas l’honneur de connaître….

UN MEMBRE sort des bancs de la droite, vient jusqu’au pied de la tribune et dit :

-C’est moi.

M. VICTOR HUGO.-Qui, vous ?
L’INTERRUPTEUR.-Moi !

M. VICTOR HUGO.-Soit. Taisez-vous.

L’INTERRUPTEUR.-Nous n’en voulons pas entendre davantage. La mauvaise littérature fait la mauvaise politique. Nous protestons au nom de la langue française et de la tribune française. Portez tout ça à la Porte-Saint-Martin, monsieur Victor Hugo.

M. VICTOR HUGO.-Vous savez mon nom, à ce qu’il paraît, et moi je ne sais pas le vôtre. Comment vous appelez-vous ?

L’INTERRUPTEUR.-Bourbousson.

M. VICTOR HUGO.-C’est plus que je n’espérais. ( Long éclat de rire sur tous les bancs. L’interrupteur regagne sa place. )

M. VICTOR HUGO, reprenant…-Donc, monsieur Bourbousson dit qu’il faudrait m’appliquer la censure.

VOIX A DROITE.-Oui ! oui !

M. VICTOR HUGO.-Pourquoi ? Pour avoir qualifié comme c’est mon droit, … ( dénégations à droite ) pour avoir qualifié les auteurs des pamphlets césaristes… ( Réclamations à droite.-M. Victor Hugo se penche vers le sténographe du Moniteur et lui demande communication immédiate de la phrase de son discours qui a provoqué l’émotion de rassemblée. )

VOIX A DROITE.-M. Victor Hugo n’a pas le droit de faire changer la phrase au Moniteur.

M. LE PRÉSIDENT.-L’assemblée s’est soulevée contre les paroles qui ont dû être recueillies par le sténographe du Moniteur. Le rappel à l’ordre s’applique à ces paroles, telles que vous les avez prononcées, et qu’elles resteront certainement. Maintenant, en vous expliquant, si vous les changez, l’assemblée sera juge.

M. VICTOR HUGO.-Comme le sténographe du Moniteur les a recueillies de ma bouche… ( Interruptions diverses. )

PLUSIEURS MEMBRES.-Vous les avez changées ! -Vous avez parlé au sténographe ! ( Bruit confus. )

M. DE PANAT, questeur, et autres membres.-Vous n’avez rien à craindre. Les paroles paraîtront au Moniteur comme elles sont sorties de la bouche de l’orateur.

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, demain, quand vous lirez le Moniteur… ( rumeurs à droite ) quand vous y lirez cette phrase que vous avez interrompue et que vous n’avez pas entendue, cette phrase dans laquelle je dis que Napoléon s’étonnerait, s’indignerait de voir que son empire, son glorieux empire, a aujourd’hui pour théoriciens et pour reconstructeurs, qui ? des hommes qui, chaque fois que nous prononçons les mots démocratie, liberté, humanité, progrès, se couchent à plat ventre avec terreur, et se collent l’oreille contre terre pour écouter s’ils n’entendront pas enfin venir le canon russe….

VOIX A DROITE.-A qui appliquez-vous cela ?

M. VICTOR HUGO.-J’ai été rappelé à l’ordre pour cela !

M. DE TRÉVENEUC.-A quel parti vous adressez-vous ? VOIX A GAUCHE.-A Romieu ! au Spectre rouge !

M. LE PRÉSIDENT, à M. Victor Hugo.-Vous ne pouvez pas isoler une phrase de votre discours entier. Et tout cela est venu à la suite d’une comparaison insultante entre l’empereur qui n’est plus et le président de la république qui existe. ( Agitation prolongée.-Un grand nombre de membres descendent dans l’hémicycle ; ce n’est qu’avec peine que, sur l’ordre de M. le président, les huissiers font reprendre les places et ramènent un peu de silence. )

M. VICTOR HUGO.-Vous reconnaîtrez demain la vérité de mes paroles.

VOIX A DROITE.-Vous avez dit : Vous.

M. VICTOR HUGO.-Jamais, et je le dis du haut de cette tribune, jamais il n’est entré dans mon esprit un seul instant de s’adresser à qui que ce soit dans l’assemblée. ( Réclamations et rires bruyants à droite. )

M. LE PRÉSIDENT.-Alors l’insulte reste tout entière pour M. le président de la république.

M. DE HEECKEREN [Footnote : Sénateur.].-S’il ne s’agit pas de nous, pourquoi nous le dire, et ne pas réserver la chose pour l’Événement ?

M. VICTOR HUGO, se tournant vers M. le président. —Vous voyez bien que la majorité se prétend insultée. Ce n’est pas du président de la République qu’il s’agit maintenant !
M. LE PRÉSIDENT.-Vous l’avez traîné aussi bas que possible….

M. VICTOR HUGO.-Ce n’est pas là la question !

M. LE PRÉSIDENT.-Dites que vous n’avez pas voulu insulter M. le président de la république dans votre parallèle, à la bonne heure ! ( L’agitation continue ; des apostrophes d’une extrême violence, sont adressées à l’orateur et échangées entre plusieurs membres de droite et de gauche. M. Lefebvre-Duruflé, s’approchant de la tribune, remet à l’orateur une feuille de papier qu’il le prie de lire. )

M. VICTOR HUGO, après avoir lu.-On me transmet l’observation que voici, et à laquelle je vais donner immédiatement satisfaction. Voici :

« Ce qui a révolté l’assemblée, c’est que vous avez dit vous, et que
vous n’avez pas parlé indirectement. »

L’auteur de cette observation reconnaîtra demain, en lisant le Moniteur, que je n’ai pas dit vous, que j’ai parlé indirectement, que je ne me suis adressé à personne directement dans l’assemblée. Et je répète que je ne m’adresse à personne.

Faisons cesser ce malentendu.

VOIX A DROITE.-Bien ! bien ! Passez outre.

M. LE PRÉSIDENT.-Faites sortir l’assemblée de l’état où vous l’avez mise.

Messieurs, veuillez faire silence.

M. VICTOR HUGO.-Vous lirez demain le Moniteur qui a recueilli mes paroles, et vous regretterez votre précipitation. Jamais je n’ai songé un seul instant à un seul membre de cette assemblée, je le déclare, et je laisse mon rappel à l’ordre sur la conscience de M. le président. ( Mouvement.-Très bien ! très bien ! )

Encore un instant, et je descends de la tribune.

( Le silence se rétablit sur tous les bancs. L’orateur se tourne vers la droite. )

Monarchie légitime, monarchie impériale ! qu’est-ce que vous nous voulez ? Nous sommes les hommes d’un autre âge. Pour nous, il n’y a de fleurs de lys qu’à Fontenoy, et il n’y a d’aigles qu’à Eylau et à Wagram.

Je vous l’ai déjà dit, vous êtes le passé. De quel droit mettez-vous le présent en question ? qu’y a-t-il de commun entre vous et lui ? Contre qui et pour qui vous coalisez-vous ? Et puis, que signifie cette coalition ? Qu’est-ce que c’est que cette alliance ? Qu’est-ce que c’est que cette main de l’empire que je vois dans la main de la légitimité ? Légitimistes, l’empire a tué le duc d’Enghien ! Impérialistes, la légitimité a fusillé Murat ! ( Vive impression. )

Vous vous touchez les mains ; prenez garde, vous mêlez des taches de sang ! ( Sensation. )

Et puis qu’espérez-vous ? détruire la république ? Vous entreprenez là une besogne rude. Y avez-vous bien songé ? Quand un ouvrier a travaillé dix-huit heures, quand un peuple a travaillé dix-huit siècles, et qu’ils ont enfin l’un et l’autre reçu leur payement, allez donc essayer d’arracher à cet ouvrier son salaire et à ce peuple sa république !

Savez-vous ce qui fait la république forte ? savez-vous ce qui la fait invincible ? savez-vous ce qui la fait indestructible ? Je vous l’ai dit en commençant, et en terminant je vous le répète, c’est qu’elle est la somme du labeur des générations, c’est qu’elle est le produit accumulé des efforts antérieurs, c’est qu’elle est un résultat historique autant qu’un fait politique, c’est qu’elle fait pour ainsi dire partie du climat actuel de la civilisation, c’est qu’elle est la forme absolue, suprême, nécessaire, du temps où nous vivons, c’est qu’elle est l’air que nous respirons, et qu’une fois que les nations ont respiré cet air-là, prenez-en votre parti, elles ne peuvent plus en respirer d’autre ! Oui, savez-vous ce qui fait que la république est impérissable ? C’est qu’elle s’identifie d’un côté avec le siècle, et de l’autre avec le peuple ! elle est l’idée de l’un et la couronne de l’autre !

Messieurs les révisionnistes, je vous ai demandé ce que vous vouliez. Ce que je veux, moi, je vais vous le dire. Toute ma politique, la voici en deux mots. Il faut supprimer dans l’ordre social un certain degré de misère, et dans l’ordre politique une certaine nature d’ambition. Plus de paupérisme et plus de monarchisme. La France ne sera tranquille que lorsque, par la puissance des institutions qui donneront du travail et du pain aux uns et qui ôteront l’espérance aux autres, nous aurons vu disparaître du milieu de nous tous ceux qui tendent la main, depuis les mendiants jusqu’aux prétendants. ( Explosion d’applaudissements.—Cris et murmures à droite. )

M. LE PRÉSIDENT.-Laissez donc finir, pour l’amour de Dieu ! ( On rit. )

M. BELIN.-Pour l’amour du dîner.

M. LE PRÉSIDENT.-Allons ! de grâce ! de grâce !

M. VICTOR HUGO.-Messieurs, il y a deux sortes de questions, les questions fausses et les questions vraies.

L’assistance, le salaire, le crédit, l’impôt, le sort des classes laborieuses…-eh ! mon Dieu ! ce sont là des questions toujours négligées, toujours ajournées ! Souffrez qu’on vous en parle de temps en temps ! Il s’agit du peuple, messieurs ! Je continue.-Les souffrances des faibles, du pauvre, de la femme, de l’enfant, l’éducation, la pénalité, la production, la consommation, la circulation, le travail, qui contient le pain de tous, le suffrage universel, qui contient le droit de tous, la solidarité entre hommes et entre peuples, l’aide aux nationalités opprimées, la fraternité française produisant par son rayonnement la fraternité européenne, -voilà les questions vraies.

La légitimité, l’empire, la fusion, l’excellence de la monarchie sur la république, les thèses philosophiques qui sont grosses de barricades, le choix entre les prétendants, -voilà les fausses questions.

Eh bien ! il faut bien vous le dire, vous quittez les questions vraies pour les fausses questions ; vous quittez les questions vivantes pour les questions mortes. Quoi ! c’est là votre intelligence politique ! Quoi ! c’est là le spectacle que vous nous donnez ! Le législatif et l’exécutif se querellent, les pouvoirs se prennent au collet ; rien ne se fait, rien ne va ; de vaines et pitoyables disputes ; les partis tiraillent la constitution dans l’espoir de déchirer la république ; les hommes se démentent, l’un oublie ce qu’il a juré, les autres oublient ce qu’ils ont crié ; et pendant ces agitations misérables, le temps, c’est-à-dire la vie, se perd !

Quoi ! c’est là la situation que vous nous faites ! la neutralisation de toute autorité par la lutte, l’abaissement, et, par conséquent, l’effacement du pouvoir, la stagnation, la torpeur, quelque chose de pareil à la mort ! Nulle grandeur, nulle force, nulle impulsion. Des tracasseries, des taquineries, des conflits, des chocs. Pas de gouvernement !

Et cela, dans quel moment ?

Au moment où, plus que jamais, une puissante initiative démocratique est nécessaire ! au moment où la civilisation, à la veille de subir une solennelle épreuve, a, plus que jamais, besoin de pouvoirs actifs, intelligents, féconds, réformateurs, sympathiques aux souffrances du peuple, pleins d’amour et, par conséquent, pleins de force ! au moment où les jours troublés arrivent ! au moment où tous les intérêts semblent prêts à entrer en lutte contre tous les principes ! au moment où les problèmes les plus formidables se dressent devant la société et l’attendent avec des sommations à jour fixe ! au moment où 1852 s’approche, masqué, effrayant, les mains pleines de questions redoutables ! au moment où les philosophes, les publicistes, les observateurs sérieux, ces hommes qui ne sont pas des hommes d’état, qui ne sont que des hommes sages, attentifs, inquiets, penchés sur l’avenir, penchés sur l’inconnu, l’oeil fixé sur toutes ces obscurités accumulées, croient entendre distinctement le bruit monstrueux de la porte des révolutions qui se rouvre dans les ténèbres. ( Vive et universelle émotion. Quelques rires à droite. )

Messieurs, je termine. Ne nous le dissimulons pas, cette discussion, si orageuse qu’elle soit, si profondément qu’elle remue les masses, n’est qu’un prélude.

Je le répète, l’année 1852 approche. L’instant arrive où vont reparaître, réveillées et encouragées par la loi fatale du 31 mai, armées par elle pour leur dernier combat contre le suffrage universel garrotté, toutes ces prétentions dont je vous ai parlé, toutes ces légitimités antiques qui ne sont que d’antiques usurpations ! L’instant arrive où une mêlée terrible se fera de toutes les formes déchues, impérialisme, légitimisme, droit de la force, droit divin, livrant ensemble l’assaut au grand droit démocratique, au droit humain ! Ce jour-là, tout sera, en apparence, remis en question. Grâce aux revendications opiniâtres du passé, l’ombre couvrira de nouveau ce grand et illustre champ de bataille des idées et du progrès qu’on appelle la France. Je ne sais pas ce que durera cette éclipse, je ne sais pas ce que durera ce combat ; mais ce que je sais, ce qui est certain, ce que je prédis, ce que j’affirme, c’est que le droit ne périra pas ! c’est que, quand le jour reparaîtra, on ne retrouvera debout que deux combattants, le peuple et Dieu ! »

( Immense acclamation.-Tous les membres de la gauche reçoivent l’orateur au pied de la tribune, et lui serrent la main. La séance est suspendue pendant dix minutes, malgré la voix de M. Dupin et les cris des huissiers. )

Les discours politiques de Victor Hugo (3)

Discours devant l’Assemblée législative à propos de la loi limitant le droit de vote, le 20 mai 1850 :

« Messieurs, la révolution de février, et, pour ma part, puisqu’elle semble vaincue, puisqu’elle est calomniée, je chercherai toutes les occasions de la glorifier dans ce qu’elle a fait de magnanime et de beau ( Très bien ! très bien ! ), la révolution de février avait eu deux magnifiques pensées. La première, je vous la rappelais l’autre jour, ce fut de monter jusqu’aux sommets de l’ordre politique et d’en arracher la peine de mort ; la seconde, ce fut d’élever subitement les plus humbles régions de l’ordre social au niveau des plus hautes et d’y installer la souveraineté.

Double et pacifique victoire du progrès qui, d’une part, relevait l’humanité, qui, d’autre part, constituait le peuple, qui emplissait de lumière en même temps le monde politique et le monde social, et qui les régénérait et les consolidait tous deux à la fois, l’un par la clémence, l’autre par l’égalité. ( Bravo ! à gauche. )

Messieurs, le grand acte, tout ensemble politique et chrétien, par lequel la révolution de février fit pénétrer son principe jusque dans les racines mêmes de l’ordre social, fut l’établissement du suffrage universel, fait capital, fait immense, événement considérable qui introduisit dans l’état un élément nouveau, irrévocable, définitif. Remarquez-en, messieurs, toute la portée. Certes, ce fut une grande chose de reconnaître le droit de tous, de composer l’autorité universelle de la somme des libertés individuelles, de dissoudre ce qui restait des castes dans l’unité auguste d’une souveraineté commune, et d’emplir du même peuple tous les compartiments du vieux monde social ; certes, cela fut grand. Mais, messieurs, c’est surtout dans son action sur les classes qualifiées jusqu’alors classes inférieures qu’éclate la beauté du suffrage universel. ( Rires ironiques à droite. )

Messieurs, vos rires me contraignent d’y insister. Oui, le merveilleux côté du suffrage universel, le côté efficace, le côté politique, le côté profond, ce ne fut pas de lever le bizarre interdit électoral qui pesait, sans qu’on pût deviner pourquoi, -mais c’était la sagesse des grands hommes d’état de ce temps-là ( on rit à gauche ), -qui sont les mêmes que ceux de ce temps-ci….-( nouveaux rires approba à gauche ) ; ce ne fut pas, dis-je, de lever le bizarre interdit électoral qui pesait sur une partie de ce qu’on nommait la classe moyenne, et même de ce qu’on nommait la classe élevée ; ce ne fut pas de restituer son droit à l’homme qui était avocat, médecin, lettré, administrateur, officier, professeur, prêtre, magistrat, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était juré, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était membre de l’institut, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était pair de France, et qui n’était pas électeur ; non, le côté merveilleux, je le répète, le côté profond, efficace, politique du suffrage universel, ce fut d’aller chercher dans les régions douloureuses de la société, dans les bas-fonds, comme vous dites, l’être courbé sous le poids des négations sociales, l’être froissé qui, jusqu’alors, n’avait eu d’autre espoir que la révolte, et de lui apporter l’espérance sous une autre forme ( Très bien ! ), et de lui dire : Vote ! ne te bats plus ! ( Mouvement. ) Ce fut de rendre sa part de souveraineté à celui qui jusque-là n’avait eu que sa part de souffrance ! Ce fut d’aborder dans ses ténèbres matérielles et morales l’infortuné qui, dans les extrémités de sa détresse, n’avait d’autre arme, d’autre défense, d’autre ressource que la violence, et de lui retirer la violence, et de lui remettre dans les mains, à la place de la violence, le droit ! ( Bravos prolongés. )

Oui, la grande sagesse de cette révolution de février qui, prenant pour base de la politique l’évangile ( à droite : Quelle impiété ! ), institua le suffrage universel, sa grande sagesse, et en même temps sa grande justice, ce ne fut pas seulement de confondre et de dignifier dans l’exercice du même pouvoir souverain le bourgeois et le prolétaire ; ce fut d’aller chercher dans l’accablement, dans le délaissement, dans l’abandon, dans cet abaissement qui conseille si mal, l’homme de désespoir, et de lui dire : Espère ! l’homme de colère, et de lui dire : Raisonne ! le mendiant, comme on l’appelle, le vagabond, comme on l’appelle, le pauvre, l’indigent, le déshérité, le malheureux, le misérable, comme on l’appelle, et de le sacrer citoyen ! ( Acclamation à gauche. )

Voyez, messieurs, comme ce qui est profondément juste est toujours en même temps profondément politique. Le suffrage universel, en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur donne le calme. Tout ce qui grandit l’homme l’apaise. ( Mouvement. )

Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique : Soyez tranquilles, vous êtes souverains. ( Sensation. )

Il ajoute : Vous souffrez ? eh bien ! n’aggravez pas vos souffrances, n’aggravez pas les détresses publiques par la révolte. Vous souffrez ? eh bien ! vous allez travailler vous-mêmes, dès à présent, au grand œuvre de la destruction de la misère, par des hommes qui seront à vous, par des hommes en qui vous mettrez votre âme, et qui seront, en quelque sorte, votre main. Soyez tranquilles.

Puis, pour ceux qui seraient tentés d’être récalcitrants, il dit :

-Avez-vous voté ? Oui. Vous avez épuisé votre droit, tout est dit. Quand le vote a parlé, la souveraineté a prononcé. Il n’appartient pas à une fraction de défaire ni de refaire l’œuvre collective. Vous êtes citoyens, vous êtes libres, votre heure reviendra, sachez l’attendre. En attendant, parlez, écrivez, discutez, enseignez, éclairez ; éclairez-vous, éclairez les autres. Vous avez à vous, aujourd’hui, la vérité, demain la souveraineté, vous êtes forts. Quoi ! deux modes d’action sont à votre disposition, le droit du souverain et le rôle du rebelle, vous choisiriez le rôle du rebelle ! ce serait une sottise et ce serait un crime. ( Applaudissements à gauche. )

Voilà les conseils que donne aux classes souffrantes le suffrage universel. ( Oui ! oui ! à gauche-Rires à droite. ) Messieurs, dissoudre les animosités, désarmer les haines, faire tomber la cartouche des mains de la misère, relever l’homme injustement abaissé et assainir l’esprit malade par ce qu’il y a de plus pur au monde, le sentiment du droit librement exercé, reprendre à chacun le droit de force, qui est le fait naturel, et lui rendre en échange la part de souveraineté, qui est le fait social, montrer aux souffrances une issue vers la lumière et le bien-être, éloigner les échéances révolutionnaires et donner à la société, avertie, le temps de s’y préparer, inspirer aux masses cette patience forte qui fait les grands peuples, voilà l’œuvre du suffrage universel ( sensation profonde ), œuvre éminemment sociale au point de vue de l’état, éminemment morale au point de vue de l’individu.

Méditez ceci, en effet : sur cette terre d’égalité et de liberté, tous les hommes respirent le même air et le même droit. ( Mouvement. ) Il y a dans l’année un jour où celui qui vous obéit se voit votre pareil, où celui qui vous sert se voit votre égal, où chaque citoyen, entrant dans la balance universelle, sent et constate la pesanteur spécifique du droit de cité, et où le plus petit fait équilibre au plus grand. ( Bravo ! à gauche.-On rit à droite. ) Il y a un jour dans l’année où le gagne-pain, le journalier, le manœuvre, l’homme qui traîne des fardeaux, l’homme qui casse des pierres au bord des routes, juge le sénat, prend dans sa main, durcie par le travail, les ministres, les représentants, le président de la république, et dit : La puissance, c’est moi ! Il y a un jour dans l’année où le plus imperceptible citoyen, où l’atome social participe à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l’air vaste des affaires publiques ; un jour où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l’âme de la patrie ! ( Applaudissements à gauche.-Rires et bruit à droite. ) Quel accroissement de dignité pour l’individu, et par conséquent de moralité ! Quelle satisfaction, et par conséquent quel apaisement ! Regardez l’ouvrier qui va au scrutin. Il y entre, avec le front triste du prolétaire accablé, il en sort avec le regard d’un souverain. ( Acclamations à gauche.-Murmures à droite. )

Or qu’est-ce que tout cela, messieurs ? C’est la fin de la violence, c’est la fin de la force brutale, c’est la fin de l’émeute, c’est la fin du fait matériel, et c’est le commencement du fait moral. ( Mouvement ) C’est, si vous permettez que je rappelle mes propres paroles, le droit d’insurrection aboli par le droit de suffrage. ( Sensation. )

Eh bien ! vous, législateurs chargés par la providence de fermer les abîmes et non de les ouvrir, vous qui êtes venus pour consolider et non pour ébranler, vous, représentants de ce grand peuple de l’initiative et du progrès, vous, hommes de sagesse et de raison, qui comprenez toute la sainteté de votre mission, et qui, certes, n’y faillirez pas, savez-vous ce que vient faire aujourd’hui cette loi fatale, cette loi aveugle qu’on ose si imprudemment vous présenter ? ( Profond silence. )

Elle vient, je le dis avec un frémissement d’angoisse, je le dis avec l’anxiété douloureuse du bon citoyen épouvanté des aventures où l’on précipite la patrie, elle vient proposer à l’assemblée l’abolition du droit de suffrage pour les classes souffrantes, et, par conséquent, je ne sais quel rétablissement abominable et impie du droit d’insurrection. ( Mouvement prolongé. )

Voilà toute la situation en deux mots. ( Nouveau mouvement. )

Oui, messieurs, ce projet, qui est toute une politique, fait deux choses, il fait une loi, et il crée une situation.

Une situation grave, inattendue, nouvelle, menaçante, compliquée, terrible.

Allons au plus pressé. Le tour de la loi, considérée en elle-même, viendra. Examinons d’abord la situation.

Quoi ! après deux années d’agitation et d’épreuves, insé parables, il faut bien le dire, de toute grande commotion sociale, le but était atteint !

Quoi ! la paix était faite ! Quoi ! le plus difficile de la solution, le procédé, était trouvé, et, avec le procédé, la certitude. Quoi ! le mode de création pacifique du progrès était substitué au mode violent ; les impatiences et les colères avaient désarmé ; l’échange du droit de révolte contre le droit de suffrage était consommé ; l’homme des classes souffrantes avait accepté, il avait doucement et noblement accepté. Nulle agitation, nulle turbulence. Le malheureux s’était senti rehaussé par la confiance sociale. Ce nouveau citoyen, ce souverain restauré, était entré dans la cité avec une dignité sereine. ( Applaudissements à gauche.-Depuis quelques instants, un bruit presque continuel, venant de certains bancs de la droite, se mêle à la voix de l’orateur. M. Victor Hugo s’interrompt et se tourne vers la droite. )

Messieurs, je sais bien que ces interruptions calculées et systématiques ( dénégations à droite.-Oui ! oui ! à gauche ) ont pour but de déconcerter la pensée de l’orateur ( C’est vrai ! ) et de lui ôter la liberté d’esprit, ce qui est une manière de lui ôter la liberté de la parole. ( Très bien ! ) Mais c’est là vraiment un triste jeu, et peu digne d’une grande assemblée. ( Dénégations à droite. ) Quant à moi, je mets le droit de l’orateur sous la sauvegarde de la majorité vraie, c’est-à-dire de tous les esprits généreux et justes qui siègent sur tous les bancs et qui sont toujours les plus nombreux parmi les élus d’un grand peuple. ( Très bien ! à gauche. —Silence à droite. )

Je reprends. La vie publique avait saisi le prolétaire sans l’étonner ni l’enivrer. Les jours d’élection étaient pour le pays mieux que des jours de fête, c’étaient des jours de calme. ( C’est vrai ! ) En présence de ce calme, le mouvement des affaires, des transactions, du commerce, de l’industrie, du luxe, des arts, avait repris ; les pulsations de la vie régulière revenaient. Un admirable résultat était obtenu. Un imposant traité de paix était signé entre ce qu’on appelle encore le haut et le bas de la société. ( Oui ! oui ! )

Et c’est là le moment que vous choisissez pour tout remettre en question ! Et ce traité signé, vous le déchirez ! ( Mouvement. ) Et c’est précisément cet homme, le dernier sur l’échelle de vie, qui, maintenant, espérait remonter, peu à peu et tranquillement, c’est ce pauvre, c’est ce malheureux, naguère redoutable, maintenant réconcilié, apaisé, confiant, fraternel, c’est lui que votre loi va chercher ! Pourquoi ? Pour faire une chose insensée, indigne, odieuse, anarchique, abominable ! pour lui reprendre son droit de suffrage ! pour l’arracher aux idées de paix, de conciliation, d’espérance, de justice, de concorde, et, par conséquent, pour le rendre aux idées de violence ! Mais quels hommes de désordre êtes-vous donc ? ( Nouveau mouvement. )

Quoi ! le port était trouvé, et c’est vous qui recommencez les aventures ! Quoi ! le pacte était conclu, et c’est vous qui le violez !

Et pourquoi cette violation du pacte ? pourquoi cette agression en pleine paix ? pourquoi ces emportements ? pourquoi cet attentat ? pourquoi cette folie ? Pourquoi ? je vais vous le dire. C’est parce qu’il a plu au peuple, après avoir nommé qui vous vouliez, ce que vous avez trouvé fort bon, de nommer qui vous ne vouliez pas, ce que vous trouvez mauvais. C’est parce qu’il a jugé dignes de son choix des hommes que vous jugiez dignes de vos insultes. C’est parce qu’il est présumable qu’il a la hardiesse de changer d’avis sur votre compte depuis que vous êtes le pouvoir, et qu’il peut comparer les actes aux programmes, et ce qu’on avait promis avec ce qu’on a tenu. ( C’est cela ! ) C’est parce qu’il est probable qu’il ne trouve pas votre gouvernement complètement sublime. ( Très bien ! -On rit. ) C’est parce qu’il semble se permettre de ne pas vous admirer comme il convient. ( Très bien ! très bien ! -Mouvement. ) C’est parce qu’il ose user de son vote à sa fantaisie, ce peuple, parce qu’il paraît avoir cette audace inouïe de s’imaginer qu’il est libre, et que, selon toute apparence, il lui passe par la tête cette autre idée étrange qu’il est souverain. ( Très bien ! ) C’est, enfin, parce qu’il a l’insolence de vous donner un avis sous cette forme pacifique du scrutin et de ne pas se prosterner purement et simplement à vos pieds. ( Mouvement. ) Alors vous vous indignez, vous vous mettez en colère, vous déclarez la société en danger, vous vous écriez : Nous allons te châtier, peuple ! Nous allons te punir, peuple ! Tu vas avoir affaire à nous, peuple ! -Et comme ce maniaque de l’histoire, vous battez de verges l’océan ! ( Acclamation à gauche. )

Que l’assemblée me permette ici une observation qui, selon moi, éclaire jusqu’au fond, et d’un jour vrai et rassurant, cette grande question du suffrage universel.

Quoi ! le gouvernement veut restreindre, amoindrir, émonder, mutiler le suffrage universel ! Mais y a-t-il bien réfléchi ? Mais voyons, vous, ministres, hommes sérieux, hommes politiques, vous rendez-vous bien compte de ce que c’est que le suffrage universel ? le suffrage universel vrai, le suffrage universel sans restrictions, sans exclusions, sans défiances, comme la révolution de février l’a établi, comme le comprennent et le veulent les hommes de progrès ? ( Au banc des ministres : C’est de l’anarchie. Nous ne voulons pas de ça ! )

Je vous entends, vous me répondez : -Nous n’en voulons pas ! c’est le mode de création de l’anarchie ! -( Oui ! oui ! à droite. ) Eh bien ! c’est précisément tout le contraire. C’est le mode de création du pouvoir. ( Bravo ! à gauche. ) Oui, il faut le dire et le dire bien haut, et j’y insiste, ceci, selon moi, devrait éclairer toute cette discussion : ce qui sort du suffrage universel, c’est la liberté, sans nul doute, mais c’est encore plus le pouvoir que la liberté !

Le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations orageuses, crée un point fixe. Ce point fixe, c’est la volonté nationale légalement manifestée ; la volonté nationale, robuste amarre de l’état, ancre d’airain qui ne casse pas et que viennent battre vainement tour à tour le flux des révolutions et le reflux des réactions ! ( Profonde sensation. )

Et, pour que le suffrage universel puisse créer ce point fixe, pour qu’il puisse dégager la volonté nationale dans toute sa plénitude souveraine, il faut qu’il n’ait rien de contestable ( C’est vrai ! c’est cela ! ) ; il faut qu’il soit bien réellement le suffrage universel, c’est-à-dire qu’il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote ; qu’il fasse de la cité la chose de tous, sans exception ; car, en pareille matière, faire une exception, c’est commettre une usurpation ( Bravo ! à gauche ) ; il faut, en un mot, qu’il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société : Je ne te connais pas ! ( Mouvement prolongé. )

A ces conditions, le suffrage universel produit le pouvoir, un pouvoir colossal, un pouvoir supérieur à tous les assauts, même les plus terribles ; un pouvoir qui pourra être attaqué, mais qui ne pourra être renversé, témoin le 15 mai, témoin le 23 juin ( C’est vrai ! c’est vrai ! ) ; un pouvoir invincible parce qu’il pose sur le peuple, comme Antée parce qu’il pose sur la terre ! ( Applaudissements à gauche. ) Oui, grâce au suffrage universel, vous créez et vous mettez au service de l’ordre un pouvoir où se condense toute la force de la nation ; un pouvoir pour lequel il n’y a qu’une chose qui soit impossible, c’est de détruire son principe, c’est de tuer ce qui l’a engendré. ( Nouveaux applaudissements à gauche. )

Grâce au suffrage universel, dans notre époque où flottent et s’écroulent toutes les fictions, vous trouvez le fond solide de la société. Ah ! vous êtes embarrassés du suffrage universel, hommes d’état ! ah ! vous ne savez que faire du suffrage universel ! Grand Dieu ! c’est le point d’appui, l’inébranlable point d’appui qui suffirait à un Archimède politique pour soulever le monde ! ( Longue acclamation à gauche. )

Ministres, hommes qui nous gouvernez, en détruisant le caractère intégral du suffrage universel, vous attentez au principe même du pouvoir, du seul pouvoir possible aujourd’hui ! Comment ne voyez-vous pas cela ?

Tenez, voulez-vous que je vous le dise ? Vous ne savez pas vous-mêmes ce que vous êtes ni ce que vous faites. Je n’accuse pas vos intentions, j’accuse votre aveuglement. Vous vous croyez, de bonne foi, des conservateurs, des reconstructeurs de la société, des organisateurs ? Eh bien ! je suis fâché de détruire votre illusion ; à votre insu, candidement, innocemment, vous êtes des révolutionnaires ! ( Longue et universelle sensation. )

Oui ! et des révolutionnaires de la plus dangereuse espèce, des révolutionnaires de l’espèce naïve ! ( Hilarité générale. ) Vous avez, et plusieurs d’entre vous l’ont déjà prouvé, ce talent merveilleux de faire des révolutions sans le voir, sans le vouloir et sans le savoir ( nouvelle hilarité ), en voulant faire autre chose ! ( On rit.-Très bien ! très bien ! ) Vous nous dites : Soyez tranquilles ! Vous saisissez dans vos mains, sans vous douter de ce que cela pèse, la France, la société, le présent, l’avenir, la civilisation, et vous les laissez tomber sur le pavé par maladresse ! Vous faites la guerre à l’abîme en vous y jetant tête baissée ! ( Long mouvement.-M. d’Hautpoul rit. )

Eh bien ! l’abîme ne s’ouvrira pas ! ( Sensation. ) Le peuple ne sortira pas de son calme ! Le peuple calme, c’est l’avenir sauvé. ( Applaudissements à gauche.-Rumeurs à droite. )

L’intelligente et généreuse population parisienne sait cela, voyez-vous, et, je le dis sans comprendre que de telles paroles puissent éveiller des murmures, Paris offrira ce grand et instructif spectacle que si le gouvernement est révolutionnaire, le peuple sera conservateur. ( Bravo ! bravo ! -Rires à droite. )

Il a à conserver, en effet, ce peuple, non-seulement l’avenir de la France, mais l’avenir de toutes les nations ! Il a à conserver le progrès humain dont la France est l’âme, la démocratie dont la France est le foyer, et ce travail magnifique que la France fait et qui, des hauteurs de la France, se répand sur le monde, la civilisation par la liberté ! ( Explosion de bravos. ) Oui, le peuple sait cela, et quoi qu’on fasse, je le répète, il ne remuera pas. Lui qui a la souveraineté, il saura aussi avoir la majesté. ( Mouvement. ) Il attendra, impassible, que son jour, que le jour infaillible, que le jour légal se lève ! Comme il le fait déjà depuis huit mois, aux provocations quelles qu’elles soient, aux agressions quelles qu’elles soient, il opposera la formidable tranquillité de la force, et il regardera, avec le sourire indigné et froid du dédain, vos pauvres petites lois, si furieuses et si faibles, défier l’esprit du siècle, défier le bon sens public, défier la démocratie, et enfoncer leurs malheureux petits ongles dans le granit du suffrage universel ! ( Acclamation prolongée à gauche. )

Messieurs, un dernier mot. J’ai essayé de caractériser la situation. Avant de descendre de cette tribune, permettez-moi de caractériser la loi.

Cette loi, comme brandon révolutionnaire, les hommes du progrès pourraient la redouter ; comme moyen électoral, ils la dédaignent.

Ce n’est pas qu’elle soit mal faite, au contraire. Tout inefficace qu’elle est et qu’elle sera, c’est une loi savante, c’est une loi construite dans toutes les règles de l’art. Je lui rends justice. ( On rit. )

Tenez, voyez, chaque détail est une habileté. Passons, s’il vous plaît, cette revue instructive. ( Nouveaux rires.-Très bien ! )

A la simple résidence décrétée par la constituante, elle substitue sournoisement le domicile. Au lieu de six mois, elle écrit trois ans, et elle dit : C’est la même chose. ( Dénégations à droite. ) A la place du principe de la permanence des listes, nécessaire à la sincérité de l’élection, elle met, sans avoir l’air d’y toucher ( on rit ), le principe de la permanence du domicile, attentatoire au droit de l’électeur. Sans en dire un mot, elle biffe l’article 104 du code civil, qui n’exige pour la constatation du domicile qu’une simple déclaration, et elle remplace cet article 104 par le cens indirectement rétabli, et, à défaut du cens, par une sorte d’assujettissement électoral mal déguisé de l’ouvrier au patron, du serviteur au maître, du fils au père. Elle crée ainsi, imprudence mêlée à tant d’habiletés, une sourde guerre entre le patron et l’ouvrier, entre le domestique et le maître, et, chose coupable, entre le père et le fils. ( Mouvement.-C’est vrai ! )

Ce droit de suffrage, qui, je crois l’avoir démontré, fait partie de l’entité du citoyen, ce droit de suffrage sans lequel le citoyen n’est pas, ce droit qui fait plus que le suivre, qui s’incorpore à lui, qui respire dans sa poitrine, qui coule dans ses veines avec son sang, qui va, vient et se meut avec lui, qui est libre avec lui, qui naît avec lui pour ne mourir qu’avec lui, ce droit imperdable, essentiel, personnel, vivant, sacré ( on rit à droite ), ce droit, qui est le souffle, la chair et l’âme d’un homme, votre loi le prend à l’homme et le transporte à quoi ? A la chose inanimée, au logis, au tas de pierres, au numéro de la maison ! Elle attache l’é lecteur à la glèbe ! ( Bravos à gauche.-Murmures à droite. )

Je continue.

Elle entreprend, elle accomplit, comme la chose la plus simple du monde, cette énormité, de faire supprimer par le mandataire le titre du mandant. ( Mouvement. ) Quoi encore ? Elle chasse de la cité légale des classes entières de citoyens, elle proscrit en masse de certaines professions libérales, les artistes dramatiques, par exemple, que l’exercice de leur art contraint à changer de résidence à peu près tous les ans.

A DROITE.-Les comédiens dehors ! Eh bien ! tantmieux.

M. VICTOR HUGO.-Je constate, et le Moniteur constatera que, lorsque j’ai déploré l’exclusion d’une classe de citoyens digne entre toutes d’estime et d’intérêt, de ce côté on a ri et on a dit : Tant mieux !

A DROITE.-Oui ! oui !

M. TH. BAC.-C’est l’excommunication qui revient. Vos pères jetaient les comédiens hors de l’église, vous faites mieux, vous les jetez hors de la société. ( Très bien ! à gauche. )

A DROITE.-Oui ! oui !

M. VICTOR HUGO.-Passons. Je continue l’examen de votre loi. Elle assimile, elle identifie l’homme condamné pour délit commun et l’écrivain frappé pour délit de presse. ( A droite : Elle fait bien ! ) Elle les confond dans la même indignité et dans la même exclusion. ( A droite : Elle a raison ! ) De telle sorte que si Voltaire vivait, comme le présent système, qui cache sous un masque d’austérité transparente son intolérance religieuse et son intolérance politique ( mouvement ), ferait certainement condamner Voltaire pour offense à la morale publique et religieuse…. ( A droite : Oui ! oui ! et l’on ferait très bien !…-M. Thiers et M. de Montalembert s’agitent sur leur banc. )

M. TH. BAC.-Et Béranger ! il serait indigne !

AUTRES voix.-Et M. Michel Chevalier !

M. VICTOR HUGO.-Je n’ai voulu citer aucun vivant. J’ai pris un des plus grands et des plus illustres noms qui soient parmi les peuples, un nom qui est une gloire de la France, et je vous dis : Voltaire tomberait sous votre loi, et vous auriez sur la liste des exclusions et des indignités le repris de justice Voltaire. ( Long mouvement. )

A DROITE.-Et ce serait très bien ! ( Inexprimable agitation sur tous les bancs. )

M. VICTOR HUGO reprend : -Ce serait très bien, n’est-ce pas ? Oui, vous auriez sur vos listes d’exclus et d’indignes le repris de justice Voltaire ( nouveau mouvement ), ce qui ferait grand plaisir à Loyola ! ( Applaudissements à gauche et longs éclats de rire. )

Que vous dirai-je ? Cette loi construit, avec une adresse funeste, tout un système de formalités et de délais qui entraînent des déchéances. Elle est pleine de pièges et de trappes où se perdra le droit de trois millions d’hommes ! ( Vive sensation. ) Messieurs, cette loi viole, ceci résume tout, ce qui est antérieur et supérieur à la constitution, la souveraineté de la nation. ( Oui ! oui ! )

Contrairement au texte formel de l’article premier de cette constitution, elle attribue à une fraction du peuple l’exercice de la souveraineté qui n’appartient qu’à l’universalité des citoyens, et elle fait gouverner féodalement trois millions d’exclus par six millions de privilégiés. Elle institue des ilotes ( mouvement ), fait monstrueux ! Enfin, par une hypocrisie qui est en même temps une suprême ironie, et qui, du reste, complète admirablement l’ensemble des sincérités régnantes, lesquelles appellent les proscriptions romaines amnisties, et la servitude de l’enseignement liberté ( Bravo ! ), cette loi continue de donner à ce suffrage restreint, à ce suffrage mutilé, à ce suffrage privilégié, à ce suffrage des domiciliés, le nom de suffrage universel ! Ainsi, ce que nous discutons en ce moment, ce que je discute, moi, à cette tribune, c’est la loi du suffrage universel ! Messieurs, cette loi, je ne dirai pas, à Dieu ne plaise ! que c’est Tartuffe qui l’a faite, mais j’affirme que c’est Escobar qui l’a baptisée. ( Vifs applaudissements et hilarité sur tous les bancs. )

Eh bien ! j’y insiste, avec toute cette complication de finesses, avec tout cet enchevêtrement de pièges, avec tout cet entassement de ruses, avec tout cet échafaudage de combinaisons et d’expédients, savez-vous si, par impossible, elle est jamais appliquée, quel sera le résultat de cette loi ? Néant. ( Sensation. )

Néant pour vous qui la faites. ( A droite : C’est notre affaire ! )

C’est que, comme je vous le disais tout à l’heure, votre projet de loi est téméraire, violent, monstrueux, mais il est chétif. Rien n’égale son audace, si ce n’est son impuissance. ( Oui ! c’est vrai ! ) Ah ! s’il ne faisait pas courir à la paix publique l’immense risque que je viens de signaler à cette grande assemblée, je vous dirais : Mon Dieu ! qu’on le vote ! il ne pourra rien et il ne fera rien. Les électeurs maintenus vengeront les électeurs supprimés. La réaction aura recruté pour l’opposition. Comptez-y. Le souverain mutilé sera un souverain indigné. ( Vive approbation à gauche. )

Allez, faites ! retranchez trois millions d’électeurs, retranchez-en quatre, retranchez-en huit millions sur neuf. Fort bien ! Le résultat sera le même pour vous, sinon pire. ( Oui ! oui ! ) Ce que vous ne retrancherez pas, ce sont vos fautes ( mouvement ) ; ce sont tous les contre-sens de votre politique de compression ; c’est votre incapacité fatale ( rires au banc des ministres ) ; c’est votre ignorance du pays actuel ; c’est l’antipathie qu’il vous inspire et l’antipathie que vous lui inspirez. ( Nouveau mouvement. ) Ce que vous ne retrancherez pas, c’est le temps qui marche, c’est l’heure qui sonne, c’est la terre qui tourne, c’est le mouvement ascendant des idées, c’est la progression décroissante des préjugés, c’est l’écartement de plus en plus profond entre le siècle et vous, entre les jeunes générations et vous, entre l’esprit de liberté et vous, entre l’esprit de philosophie et vous. ( Très bien ! très bien ! )

Ce que vous ne retrancherez pas, c’est ce fait invincible, que, pendant que vous allez d’un côté, la nation va de l’autre, que ce qui est pour vous l’orient est pour elle le couchant, et que vous tournez le dos à l’avenir, tandis que ce grand peuple de France, la face tout inondée de lumière par l’aube de l’humanité nouvelle qui se lève, tourne le dos au passé ! ( Explosion de bravos à gauche. )

Tenez, faites-en votre sacrifice ! que cela vous plaise ou non, le passé est le passé. ( Bravos. ) Essayez de raccommoder ses vieux essieux et ses vieilles roues, attelez-y dix-sept hommes d’état si vous voulez. ( Rire universel. ) Dix-sept hommes d’état de renfort ! ( Nouveaux rires prolongés. ) Traînez-le au grand jour du temps présent, eh bien ! quoi ! ce sera toujours le passé ! On verra mieux sa décrépitude, voilà tout. ( Rires et applaudissements à gauche.-Murmures à droite. )

Je me résume et je finis.

Messieurs, cette loi est invalide, cette loi est nulle, cette loi est morte même avant d’être née. Et savez-vous ce qui la tue ? C’est qu’elle ment ! ( Profonde sensation. ) C’est qu’elle est hypocrite dans le pays de la franchise, c’est qu’elle est déloyale dans le pays de l’honnêteté ! C’est qu’elle n’est pas juste, c’est qu’elle n’est pas vraie, c’est qu’elle cherche en vain à créer une fausse justice et une fausse vérité sociales ! Il n’y a pas deux justices et deux vérités. Il n’y a qu’une justice, celle qui sort de la conscience, et il n’y a qu’une vérité, celle qui vient de Dieu ! Hommes qui nous gouvernez, savez-vous ce qui tue votre loi ? C’est qu’au moment où elle vient furtivement dérober le bulletin, voler la souveraineté dans la poche du faible et du pauvre, elle rencontre le regard sévère, le regard terrible de la probité nationale ! lumière foudroyante sous laquelle votre œuvre de ténèbres s’évanouit. ( Mouvement prolongé. )

Tenez, prenez-en votre parti. Au fond de la conscience de tout citoyen, du plus humble comme du plus grand, au fond de l’âme-j’accepte vos expressions-du dernier mendiant, du dernier vagabond, il y a un sentiment sublime, sacré, indestructible, incorruptible, éternel, le droit ! ( sensation ) ce sentiment, qui est l’élément de la raison de l’homme ; ce sentiment, qui est le granit de la conscience humaine ; le droit, voilà le rocher sur lequel viennent échouer et se briser les iniquités, les hypocrisies, les mauvais desseins, les mauvaises lois, les mauvais gouvernements ! Voilà l’obstacle caché, invisible, obscurément perdu au plus profond des esprits, mais incessamment présent et debout, auquel vous vous heurterez toujours, et que vous n’userez jamais, quoi que vous fassiez ! ( Non ! non ! ) Je vous le dis, vous perdez vos peines. Vous ne le déracinerez pas ! vous ne l’ébranlerez pas ! Vous arracheriez plutôt l’écueil du fond de la mer que le droit du cœur du peuple ! ( Acclamations à gauche. )

Je vote contre le projet de loi.« 

( La séance est suspendue au milieu d’une inexprimable agitation. )

Les discours politiques de Victor Hugo (2)

Discours à l’Assemblée législative sur la liberté de l’enseignement, 15 janvier 1850 :

« Messieurs, quand une discussion est ouverte qui touche à ce qu’il y a de plus sérieux dans les destinées du pays, il faut aller tout de suite, et sans hésiter, au fond de la question.

Je commence par dire ce que je voudrais, je dirai tout à l’heure ce que je ne veux pas.

Messieurs, à mon sens, le but, difficile à atteindre et lointain sans doute, mais auquel il faut tendre dans cette grave question de l’enseignement, le voici. (Plus haut ! plus haut !)

Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici. L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. (Murmures à droite. ― Applaudissements à gauche.) L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant (mouvement), qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’état.

Je reprends. Voici donc, selon moi, l’idéal de la question. L’instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’état, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences. Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collége, pas un chef-lieu sans une faculté. Un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, lycées, gymnases, colléges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations. En un mot, l’échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l’état, posée dans l’ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité. Le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. (Longs applaudissements.)

Voilà comme je comprendrais l’éducation publique nationale. Messieurs, à côté de cette magnifique instruction gratuite, sollicitant les esprits de tout ordre, offerte par l’état, donnant à tous, pour rien, les meilleurs maîtres et les meilleures méthodes, modèle de science et de discipline, normale, française, chrétienne, libérale, qui élèverait, sans nul doute, le génie national à sa plus haute somme d’intensité, je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses, la liberté d’enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’état pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’état pour contre-poids. (Bravo ! à gauche. ― Murmures à droite.)

Ceci, messieurs, je le répète, est l’idéal de la question. Ne vous en troublez pas, nous ne sommes pas près d’y atteindre, car la solution du problème contient une question financière considérable, comme tous les problèmes sociaux du temps présent.

Messieurs, cet idéal, il était nécessaire de l’indiquer, car il faut toujours dire où l’on tend. Il offre d’innombrables points de vue, mais l’heure n’est pas venue de le développer. Je ménage les instants de l’assemblée, et j’aborde immédiatement la question dans sa réalité positive actuelle. Je la prends où elle en est aujourd’hui au point relatif de maturité où les événements d’une part, et d’autre part la raison publique, l’ont amenée.

À ce point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle, je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement, mais je veux la surveillance de l’état, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’état laïque, purement laïque, exclusivement laïque. L’honorable M. Guizot l’a dit avant moi, en matière d’enseignement, l’état n’est pas et ne peut pas être autre chose que laïque.

Je veux, dis-je, la liberté de l’enseignement sous la surveillance de l’état, et je n’admets, pour personnifier l’état dans cette surveillance si délicate et si difficile, qui exige le concours de toutes les forces vives du pays, que des hommes appartenant sans doute aux carrières les plus graves, mais n’ayant aucun intérêt, soit de conscience, soit de politique, distinct de l’unité nationale. C’est vous dire que je n’introduis, soit dans le conseil supérieur de surveillance, soit dans les conseils secondaires, ni évêques, ni délégués d’évêques. J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’église et de l’état qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’église comme dans l’intérêt de l’état. (Acclamation à gauche. ― Protestation à droite.)

Je viens de vous dire ce que je voudrais. Maintenant, voici ce que je ne veux pas :

Je ne veux pas de la loi qu’on vous apporte.

Pourquoi ?

Messieurs, cette loi est une arme.

Une arme n’est rien par elle-même, elle n’existe que par la main qui la saisit.

Or quelle est la main qui se saisira de cette loi ?

Là est toute la question. Messieurs, c’est la main du parti clérical. (C’est vrai ! — Longue agitation.)

Messieurs, je redoute cette main, je veux briser cette arme, je repousse ce projet.

Cela dit, j’entre dans la discussion.

J’aborde tout de suite, et de front, une objection qu’on fait aux opposants placés à mon point de vue, la seule objection qui ait une apparence de gravité.

On nous dit : Vous excluez le clergé du conseil de surveillance de l’état ; vous voulez donc proscrire l’enseignement religieux ?

Messieurs, je m’explique. Jamais on ne se méprendra, par ma faute, ni sur ce que je dis, ni sur ce que je pense.

Loin que je veuille proscrire l’enseignement religieux, entendez-vous bien ? il est, selon moi, plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Plus l’homme grandit, plus il doit croire. Plus il approche de Dieu, mieux il doit voir Dieu. (Mouvement.)

Il y a un malheur dans notre temps, je dirais presque il n’y a qu’un malheur, c’est une certaine tendance à tout mettre dans cette vie. (Sensation.) En donnant à l’homme pour fin et pour but la vie terrestre et matérielle, on aggrave toutes les misères par la négation qui est au bout, on ajoute à l’accablement des malheureux le poids insupportable du néant, et de ce qui n’était que la souffrance, c’est-à-dire la loi de Dieu, on fait le désespoir, c’est-à-dire la loi de l’enfer. (Long mouvement.) De là de profondes convulsions sociales. (Oui ! oui !)

Certes je suis de ceux qui veulent, et personne n’en doute dans cette enceinte, je suis de ceux qui veulent, je ne dis pas avec sincérité, le mot est trop faible, je veux avec une inexprimable ardeur, et par tous les moyens possibles, améliorer dans cette vie le sort matériel de ceux qui souffrent ; mais la première des améliorations, c’est de leur donner l’espérance. (Bravos à droite.) Combien s’amoindrissent nos misères finies quand il s’y mêle une espérance infinie ! (Très bien ! très bien !)

Notre devoir à tous, qui que nous soyons, les législateurs comme les évêques, les prêtres comme les écrivains, c’est de répandre, c’est de dépenser, c’est de prodiguer, sous toutes les formes, toute l’énergie sociale pour combattre et détruire la misère (Bravo ! à gauche), et en même temps de faire lever toutes les têtes vers le ciel (Bravo ! à droite), de diriger toutes les âmes, de tourner toutes les attentes vers une vie ultérieure où justice sera faite et où justice sera rendue. Disons-le bien haut, personne n’aura injustement ni inutilement souffert. La mort est une restitution. (Très bien ! à droite. — Mouvement.) La loi du monde matériel, c’est l’équilibre ; la loi du monde moral, c’est l’équité. Dieu se retrouve à la fin de tout. Ne l’oublions pas et enseignons-le à tous, il n’y aurait aucune dignité à vivre et cela n’en vaudrait pas la peine, si nous devions mourir tout entiers. Ce qui allège le labeur, ce qui sanctifie le travail, ce qui rend l’homme fort, bon, sage, patient, bienveillant, juste, à la fois humble et grand, digne de l’intelligence, digne de la liberté, c’est d’avoir devant soi la perpétuelle vision d’un monde meilleur rayonnant à travers les ténèbres de cette vie. (Vive et unanime approbation.)

Quant à moi, puisque le hasard veut que ce soit moi qui parle en ce moment et met de si graves paroles dans une bouche de peu d’autorité, qu’il me soit permis de le dire ici et de le déclarer, je le proclame du haut de cette tribune, j’y crois profondément, à ce monde meilleur ; il est pour moi bien plus réel que cette misérable chimère que nous dévorons et que nous appelons la vie ; il est sans cesse devant mes yeux ; j’y crois de toutes les puissances de ma conviction, et, après bien des luttes, bien des études et bien des épreuves, il est la suprême certitude de ma raison, comme il est la suprême consolation de mon âme. (Profonde sensation.)

Je veux donc, je veux sincèrement, fermement, ardemment, l’enseignement religieux, mais je veux l’enseignement religieux de l’église et non l’enseignement religieux d’un parti. Je le veux sincère et non hypocrite. (Bravo ! bravo !) Je le veux ayant pour but le ciel et non la terre. (Mouvement.) Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre, je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. Ou, si je consens à ce mélange, moi législateur, je le surveille, j’ouvre sur les séminaires et sur les congrégations enseignantes l’œil de l’état, et, j’y insiste, de l’état laïque, jaloux uniquement de sa grandeur et de son unité.

Jusqu’au jour, que j’appelle de tous mes vœux, où la liberté complète de l’enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu’à ce jour-là, je veux l’enseignement de l’église en dedans de l’église et non au dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’état, par le clergé l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’église chez elle et l’état chez lui. (Oui ! oui !)

L’assemblée voit déjà clairement pourquoi je repousse le projet de loi ; mais j’achève de m’expliquer.

Messieurs, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, ce projet est quelque chose de plus, de pire, si vous voulez, qu’une loi politique, c’est une loi stratégique. (Chuchotements.)

Je m’adresse, non, certes, au vénérable évêque de Langres, non à quelque personne que ce soit dans cette enceinte, mais au parti qui a, sinon rédigé, du moins inspiré le projet de loi, à ce parti à la fois éteint et ardent, au parti clérical. Je ne sais pas s’il est dans le gouvernement, je ne sais pas s’il est dans l’assemblée (mouvement) ; mais je le sens un peu partout. (Nouveau mouvement.) Il a l’oreille fine, il m’entendra. (On rit.) Je m’adresse donc au parti clérical, et je lui dis : Cette loi est votre loi. Tenez, franchement, je me défie de vous. Instruire, c’est construire. (Sensation.) Je me défie de ce que vous construisez. (Très bien ! très bien !)
Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse, l’âme des enfants, le développement des intelligences neuves qui s’ouvrent à la vie, l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France. Je ne veux pas vous confier l’avenir de la France, parce que vous le confier, ce serait vous le livrer. (Mouvement.)

Il ne me suffit pas que les générations nouvelles nous succèdent, j’entends qu’elles nous continuent. Voilà pourquoi je ne veux ni de votre main, ni de votre souffle sur elles. Je ne veux pas que ce qui a été fait par nos pères soit défait par vous. Après cette gloire, je ne veux pas de cette honte. (Mouvement prolongé.)

Votre loi est une loi qui a un masque. (Bravo !)

Elle dit une chose et elle en ferait une autre. C’est une pensée d’asservissement qui prend les allures de la liberté. C’est une confiscation intitulée donation. Je n’en veux pas. (Applaudissements à gauche.)

C’est votre habitude. Quand vous forgez une chaîne, vous dites : Voici une liberté ! Quand vous faites une proscription, vous criez : Voilà une amnistie ! (Nouveaux applaudissements.)

Ah ! je ne vous confonds pas avec l’église, pas plus que je ne confonds le gui avec le chêne. Vous êtes les parasites de l’église, vous êtes la maladie de l’église. (On rit.) Ignace est l’ennemi de Jésus. (Vive approbation à gauche.) Vous êtes, non les croyants, mais les sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas. Vous êtes les metteurs en scène de la sainteté. Ne mêlez pas l’église à vos affaires, à vos combinaisons, à vos stratégies, à vos doctrines, à vos ambitions. Ne l’appelez pas votre mère pour en faire votre servante. (Profonde sensation.) Ne la tourmentez pas sous le prétexte de lui apprendre la politique. Surtout ne l’identifiez pas avec vous. Voyez le tort que vous lui faites. M. l’évêque de Langres vous l’a dit. (On rit.)

Voyez comme elle dépérit depuis qu’elle vous a ! Vous vous faites si peu aimer que vous finiriez par la faire haïr ! En vérité, je vous le dis (on rit), elle se passera fort bien de vous. Laissez-la en repos. Quand vous n’y serez plus, on y reviendra. Laissez-la, cette vénérable église, cette vénérable mère, dans sa solitude, dans son abnégation, dans son humilité. Tout cela compose sa grandeur ! Sa solitude lui attirera la foule, son abnégation est sa puissance, son humilité est sa majesté. (Vive adhésion.)

Vous parlez d’enseignement religieux ! Savez-vous quel est le véritable enseignement religieux, celui devant lequel il faut se prosterner, celui qu’il ne faut pas troubler ? C’est la sœur de charité au chevet du mourant. C’est le frère de la Merci rachetant l’esclave. C’est Vincent de Paul ramassant l’enfant trouvé. C’est l’évêque de Marseille au milieu des pestiférés. C’est l’archevêque de Paris abordant avec un sourire ce formidable faubourg Saint-Antoine, levant son crucifix au-dessus de la guerre civile, et s’inquiétant peu de recevoir la mort, pourvu qu’il apporte la paix. (Bravo !) Voilà le véritable enseignement religieux, l’enseignement religieux réel, profond, efficace et populaire, celui qui, heureusement pour la religion et l’humanité, fait encore plus de chrétiens que vous n’en défaites ! (Longs applaudissements à gauche.)

Ah ! nous vous connaissons ! nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. (On rit.) C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. (On rit.) C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso. (Sensation.) Il s’est opposé à tout. (On rit.)

C’est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas. C’est lui qui a appliqué Campanella vingt-sept fois à la question pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création. C’est lui qui a persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait. De par Josué, il a enfermé Galilée ; de par saint Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. (Sensation.) Découvrir la loi du ciel, c’était une impiété ; trouver un monde, c’était une hérésie. C’est lui qui a anathématisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion. Oh ! oui, certes, qui que vous soyez, qui vous appelez le parti catholique et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons. Voilà longtemps déjà que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande : Qu’est-ce que vous me voulez ? Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l’esprit humain. (Acclamations à gauche.)

Et vous voulez être les maîtres de l’enseignement ! Et il n’y a pas un poëte, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur, que vous acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l’héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l’humanité était là devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures ! (Oui ! oui !) Convenez-en ! (Mouvement prolongé.)

Enfin, il y a un livre, un livre qui semble d’un bout à l’autre une émanation supérieure, un livre qui est pour l’univers ce que le koran est pour l’islamisme, ce que les védas sont pour l’Inde, un livre qui contient toute la sagesse humaine éclairée par toute la sagesse divine, un livre que la vénération des peuples appelle le Livre, la Bible ! Eh bien ! votre censure a monté jusque-là ! Chose inouïe ! des papes ont proscrit la Bible ! Quel étonnement pour les esprits sages, quelle épouvante pour les cœurs simples, de voir l’index de Rome posé sur le livre de Dieu ! (Vive adhésion à gauche.)

Et vous réclamez la liberté d’enseigner ! Tenez, soyons sincères, entendons-nous sur la liberté que vous réclamez ; c’est la liberté de ne pas enseigner. (Applaudissements à gauche. ― Vives réclamations à droite.)

Ah ! vous voulez qu’on vous donne des peuples à instruire ! Fort bien. ― Voyons vos élèves. Voyons vos produits. (On rit.) Qu’est-ce que vous avez fait de l’Italie ? Qu’est-ce que vous avez fait de l’Espagne ? Depuis des siècles vous tenez dans vos mains, à votre discrétion, à votre école, sous votre férule, ces deux grandes nations, illustres parmi les plus illustres ; qu’en avez-vous fait ? (Mouvement.)

Je vais vous le dire. Grâce à vous, l’Italie, dont aucun homme qui pense ne peut plus prononcer le nom qu’avec une inexprimable douleur filiale, l’Italie, cette mère des génies et des nations, qui a répandu sur l’univers toutes les plus éblouissantes merveilles de la poésie et des arts, l’Italie, qui a appris à lire au genre humain, l’Italie aujourd’hui ne sait pas lire ! (Profonde sensation.)

Oui, l’Italie est de tous les états de l’Europe celui où il y a le moins de natifs sachant lire ! (Réclamations à droite. — Cris violents.)

L’Espagne, magnifiquement dotée, l’Espagne, qui avait reçu des romains sa première civilisation, des arabes sa seconde civilisation, de la providence, et malgré vous, un monde, l’Amérique ; l’Espagne a perdu, grâce à vous, grâce à votre joug d’abrutissement, qui est un joug de dégradation et d’amoindrissement (applaudissements à gauche), l’Espagne a perdu ce secret de la puissance qu’elle tenait des romains, ce génie des arts qu’elle tenait des arabes, ce monde qu’elle tenait de Dieu, et, en échange de tout ce que vous lui avez fait perdre, elle a reçu de vous l’inquisition. (Mouvement.)

L’inquisition, que certains hommes du parti essayent aujourd’hui de réhabiliter avec une timidité pudique dont je les honore. (Longue hilarité à gauche. — Réclamations à droite.) L’inquisition, qui a brûlé sur le bûcher ou étouffé dans les cachots cinq millions d’hommes ! (Dénégations à droite.) Lisez l’histoire ! L’inquisition, qui exhumait les morts pour les brûler comme hérétiques (C’est vrai !), témoin Urgel et Arnault, comte de Forcalquier. L’inquisition, qui déclarait les enfants des hérétiques, jusqu’à la deuxième génération, infâmes et incapables d’aucuns honneurs publics, en exceptant seulement, ce sont les propres termes des arrêts, ceux qui auraient dénoncé leur père ! (Long mouvement.) L’inquisition, qui, à l’heure où je parle, tient encore dans la bibliothèque vaticane les manuscrits de Galilée clos et scellés sous le scellé de l’index ! (Agitation.) Il est vrai que, pour consoler l’Espagne de ce que vous lui ôtiez et de ce que vous lui donniez, vous l’avez surnommée la Catholique ! (Rumeurs à droite.)

Ah ! savez-vous ? vous avez arraché à l’un de ses plus grands hommes ce cri douloureux qui vous accuse : « J’aime mieux qu’elle soit la Grande que la Catholique ! » (Cris à droite. Longue interruption. — Plusieurs membres interpellent violemment l’orateur.)

Voilà vos chefs-d’œuvre ! Ce foyer qu’on appelait l’Italie, vous l’avez éteint. Ce colosse qu’on appelait l’Espagne, vous l’avez miné. L’une est en cendres, l’autre est en ruine. Voilà ce que vous avez fait de deux grands peuples. Qu’est-ce que vous voulez faire de la France ? (Mouvement prolongé.)

Tenez, vous venez de Rome ; je vous fais compliment. Vous avez eu là un beau succès. (Rires et bravos à gauche.) Vous venez de bâillonner le peuple romain ; maintenant vous voulez bâillonner le peuple français. Je comprends, cela est encore plus beau, cela tente. Seulement, prenez garde ! c’est malaisé. Celui-ci est un lion tout à fait vivant. (Agitation.)

À qui en voulez-vous donc ? Je vais vous le dire. Vous en voulez à la raison humaine. Pourquoi ? Parce qu’elle fait le jour. (Oui ! oui ! Non ! non !)

Oui, voulez-vous que je vous dise ce qui vous importune ? C’est cette énorme quantité de lumière libre que la France dégage depuis trois siècles, lumière toute faite de raison, lumière aujourd’hui plus éclatante que jamais, lumière qui fait de la nation française la nation éclairante, de telle sorte qu’on aperçoit la clarté de la France sur la face de tous les peuples de l’univers. (Sensation.) Eh bien, cette clarté de la France, cette lumière libre, cette lumière directe, cette lumière qui ne vient pas de Rome, qui vient de Dieu, voilà ce que vous voulez éteindre, voilà ce que nous voulons conserver ! (Oui ! oui ! — Bravos à gauche.)

Je repousse votre loi. Je la repousse parce qu’elle confisque l’enseignement primaire, parce qu’elle dégrade l’enseignement secondaire, parce qu’elle abaisse le niveau de la science, parce qu’elle diminue mon pays. (Sensation.)

Je la repousse, parce que je suis de ceux qui ont un serrement de cœur et la rougeur au front toutes les fois que la France subit, pour une cause quelconque, une diminution, que ce soit une diminution de territoire, comme par les traités de 1815, ou une diminution de grandeur intellectuelle, comme par votre loi ! (Vifs applaudissements à gauche.)
Messieurs, avant de terminer, permettez-moi d’adresser ici, du haut de la tribune, au parti clérical, au parti qui nous envahit (Écoutez ! écoutez !), un conseil sérieux. (Rumeurs à droite.)

Ce n’est pas l’habileté qui lui manque. Quand les circonstances l’aident, il est fort, très fort, trop fort ! (Mouvement.) Il sait l’art de maintenir une nation dans un état mixte et lamentable, qui n’est pas la mort, mais qui n’est plus la vie. (C’est vrai !) Il appelle cela gouverner. (Rires.) C’est le gouvernement par la léthargie. (Nouveaux rires.)

Mais qu’il y prenne garde, rien de pareil ne convient à la France. C’est un jeu redoutable que de lui laisser entrevoir, seulement entrevoir, à cette France, l’idéal que voici : la sacristie souveraine, la liberté trahie, l’intelligence vaincue et liée, les livres déchirés, le prône remplaçant la presse, la nuit faite dans les esprits par l’ombre des soutanes, et les génies matés par les bedeaux ! (Acclamations à gauche. — Dénégations furieuses à droite.)

C’est vrai, le parti clérical est habile ; mais cela ne l’empêche pas d’être naïf. (Hilarité.) Quoi ! il redoute le socialisme ! Quoi ! il voit monter le flot, à ce qu’il dit, et il lui oppose, à ce flot qui monte, je ne sais quel obstacle à claire-voie ! Il voit monter le flot, et il s’imagine que la société sera sauvée parce qu’il aura combiné, pour la défendre, les hypocrisies sociales avec les résistances matérielles, et qu’il aura mis un jésuite partout où il n’y a pas un gendarme ! (Rires et applaudissements.) Quelle pitié !

Je le répète, qu’il y prenne garde, le dix-neuvième siècle lui est contraire. Qu’il ne s’obstine pas, qu’il renonce à maîtriser cette grande époque pleine d’instincts profonds et nouveaux, sinon il ne réussira qu’à la courroucer, il développera imprudemment le côté redoutable de notre temps, et il fera surgir des éventualités terribles. Oui, avec ce système qui fait sortir, j’y insiste, l’éducation de la sacristie et le gouvernement du confessionnal… (Longue interruption. Cris : À l’ordre ! Plusieurs membres de la droite se lèvent. M. le président et M. Victor Hugo échangent un colloque qui ne parvient pas jusqu’à nous. Violent tumulte. L’orateur reprend, en se tournant vers la droite)
Messieurs, vous voulez beaucoup, dites-vous, la liberté de l’enseignement ; tâchez de vouloir un peu la liberté de la tribune. (On rit. Le bruit s’apaise.)

Avec ces doctrines qu’une logique inflexible et fatale entraîne, malgré les hommes eux-mêmes, et féconde pour le mal, avec ces doctrines qui font horreur quand on les regarde dans l’histoire… (Nouveaux cris : À l’ordre. L’orateur s’interrompant)

Messieurs, le parti clérical, je vous l’ai dit, nous envahit. Je le combats, et au moment où ce parti se présente une loi à la main, c’est mon droit de législateur d’examiner cette loi et d’examiner ce parti. Vous ne m’empêcherez pas de le faire. (Très bien !) Je continue.

Oui, avec ce système-là, cette doctrine-là et cette histoire-là, que le parti clérical le sache, partout où il sera, il engendrera des révolutions ; partout, pour éviter Torquemada, on se jettera dans Robespierre. (Sensation.) Voilà ce qui fait du parti qui s’intitule parti catholique un sérieux danger public. Et ceux qui, comme moi, redoutent également pour les nations le bouleversement anarchique et l’assoupissement sacerdotal, jettent le cri d’alarme. Pendant qu’il en est temps encore, qu’on y songe bien ! (Clameurs à droite.)

Vous m’interrompez. Les cris et les murmures couvrent ma voix. Messieurs, je vous parle, non en agitateur, mais en honnête homme ! (Écoutez ! écoutez !) Ah çà, messieurs, est-ce que je vous serais suspect, par hasard ?

Cris à droite. — Oui ! oui !

M. Victor Hugo. — Quoi ! je vous suis suspect ! Vous le dites ?

Cris à droite. — Oui ! oui !

(Tumulte inexprimable. Une partie de la droite se lève et interpelle l’orateur impassible à la tribune.)

Eh bien ! sur ce point, il faut s’expliquer. (Le silence se rétablit.) C’est en quelque sorte un fait personnel. Vous écouterez, je le pense, une explication que vous avez provoquée vous-mêmes. Ah ! je vous suis suspect ! Et de quoi ?

Je vous suis suspect ! Mais l’an dernier, je défendais l’ordre en péril comme je défends aujourd’hui la liberté menacée ! comme je défendrai l’ordre demain, si le danger revient de ce côté-là. (Mouvement.)

Je vous suis suspect ! Mais vous étais-je suspect quand j’accomplissais mon mandat de représentant de Paris, en prévenant l’effusion du sang dans les barricades de juin ? (Bravos à gauche. Nouveaux cris à droite. Le tumulte recommence.)

Eh bien ! vous ne voulez pas même entendre une voix qui défend résolument la liberté ! Si je vous suis suspect, vous me l’êtes aussi. Entre nous le pays jugera. (Très bien ! très bien !)

Messieurs, un dernier mot. Je suis peut-être un de ceux qui ont eu le bonheur de rendre à la cause de l’ordre, dans les temps difficiles, dans un passé récent, quelques services obscurs. Ces services, on a pu les oublier, je ne les rappelle pas. Mais au moment où je parle, j’ai le droit de m’y appuyer. (Non ! non ! — Si ! si !)

Eh bien ! appuyé sur ce passé, je le déclare, dans ma conviction, ce qu’il faut à la France, c’est l’ordre, mais l’ordre vivant, qui est le progrès ; c’est l’ordre tel qu’il résulte de la croissance normale, paisible, naturelle du peuple ; c’est l’ordre se faisant à la fois dans les faits et dans les idées par le plein rayonnement de l’intelligence nationale. C’est tout le contraire de votre loi ! (Vive adhésion à gauche.)

Je suis de ceux qui veulent pour ce noble pays la liberté et non la compression, la croissance continue et non l’amoindrissement, la puissance et non la servitude, la grandeur et non le néant ! (Bravo ! à gauche.) Quoi ! voilà les lois que vous nous apportez ! Quoi ! vous gouvernants, vous législateurs, vous voulez vous arrêter ! vous voulez arrêter la France ! Vous voulez pétrifier la pensée humaine, étouffer le flambeau divin, matérialiser l’esprit ! (Oui ! oui ! Non ! non !) Mais vous ne voyez donc pas les éléments mêmes du temps où vous êtes. Mais vous êtes donc dans votre siècle comme des étrangers ! (Profonde sensation.)

Quoi ! c’est dans ce siècle, dans ce grand siècle des nouveautés, des avénements, des découvertes, des conquêtes, que vous rêvez l’immobilité ! (Très bien !) C’est dans le siècle de l’espérance que vous proclamez le désespoir ! (Bravo !) Quoi ! vous jetez à terre, comme des hommes de peine fatigués, la gloire, la pensée, l’intelligence, le progrès, l’avenir, et vous dites : C’est assez ! n’allons pas plus loin ; arrêtons-nous ! (Dénégations à droite.) Mais vous ne voyez donc pas que tout va, vient, se meut, s’accroît, se transforme et se renouvelle autour de vous, au-dessus de vous, au-dessous de vous ! (Mouvement.)

Ah ! vous voulez vous arrêter ! Eh bien ! je vous le répète avec une profonde douleur, moi qui hais les catastrophes et les écroulements, je vous avertis la mort dans l’âme (on rit à droite), vous ne voulez pas du progrès ? vous aurez les révolutions ! (Profonde agitation.) Aux hommes assez insensés pour dire : L’humanité ne marchera pas, Dieu répond par la terre qui tremble ! »

(Longs applaudissements à gauche. L’orateur, descendant de la tribune, est entouré par une foule de membres qui le félicitent. L’assemblée se sépare en proie à une vive émotion.)

Les discours politiques de Victor Hugo (1)

Discours de Victor Hugo sur la misère du peuple à l’Assemblée nationale législative, 9 juillet 1849 :

« Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu’où elle est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits.

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.

Voilà un fait. En voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère !

Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai par là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toute les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’État ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien fait, tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait, tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! Tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé peuvent être sans asile ! Tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes, tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de la révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux !« 

Victor Hugo homme politique

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La trajectoire politique de Victor Hugo dessine un mouvement de la droite vers la gauche. Il fut  d’abord un soutien exalté de la monarchie légitime, sous Louis XVIII et Charles X. Puis il franchit le pas de la de la politique sous la monarchie de Juillet en devenant pair de France, nommé par Louis-Philippe. La République, née de la Révolution de 48, le vit s’engager plus loin encore et obtenir les suffrages des électeurs. D’abord partisan de Louis-Napoléon Bonaparte et favorable au parti de l’Ordre, il soutint sa candidature à l’élection présidentielle avant de s’en éloigner rapidement jusqu’à devenir, au prix de l’exil, l’adversaire résolu et véhément de Napoléon le Petit et du Second Empire, après le coup d’état de décembre 1851. Après la défaite de 1870, il revint en France auréolé d’une gloire immense et prit parti pour l’amnistie des communards, se fit le défenseur l’émancipation des hommes par l’éducation, alerta sans relâche sur la question sociale et se fit l’ennemi du cléricalisme. Il incarna alors la version la plus radicale de la république, ce qui le conduisit au Panthéon.

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La série Victor Hugo, ennemi d’état retrace les années 1848 – 1851 et montre le député Hugo passant du parti de l’Ordre à la Montagne socialiste et devenant l’ennemi public du régime de Louis Napoléon Bonaparte.
Pour ne savoir plus sur sa carrière politique et ses idées, suivez ce lien.