La cartographie radicale selon Philippe Rekacewicz

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J’ai pu assister hier soir à la conférence de Philippe Rekacewicz qui a essayé de donner une approche de définition de ce qu’est la cartographie radicale. Cette conférence était organisée par l’association Echelle Inconnue que je ne connaissais pas.

Je donne ci-dessous l’enregistrement de l’intervention de monsieur Rekacewicz mais je me propose ici d’en résumer la teneur.

Il a d’abord insisté sur le fait que le mot « radical » ne lui convenait pas tout à fait et qu’il ne voulait pas donner une définition de la cartographie radicale mais en proposer une approche. Qu’est-ce que cette cartographie selon lui ?

D’abord il s’agit d’une cartographie agissant comme un contre-pouvoir. La cartographie ayant longtemps été contrôlée par les autorités et utilisée comme moyen d’affirmer un pouvoir sur des populations (dans le cadre de la colonisation par exemple) ou de mettre en scène ce pouvoir (dans le cas de la cartographie royale comme avec Cassini), le propos des cartographes radicaux est de « donner la cartographie » aux peuples ou de permettre aux peuples de s’exprimer par elle et de dénoncer certains abus. Philippe Rekacewicz a donné l’exemple de l’évolution des aéroports mondiaux depuis 2001 et la confiscation de l’espace public au profit des boutiques duty free. La cartographie ce cette confiscation a permis de faire reculer les autorités aéroportuaires.

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Ensuite, cette forme de cartographie veut mettre en avant les processus agissants dans les territoires et non les territoires eux-même. la cartographie radicale veut désacraliser le territoire et ses frontières pour  pointer les mouvements et les soubresauts qui agitent les populations peuplant ces territoires. Il ne s’agit pas d’évacuer totalement le substrat du territoire (car dans ce cas, ce n’est plus de la cartographie selon moi mais de l’infographie) mais de montrer que les processus se « moquent » souvent des frontières. Philippe Rekacewicz a montré pour cela sa carte de l’internationale djihadiste. J’en profite pour montrer l’évolution de sa réflexion et de sa technique en donnant la version 2007 et la version 2013 de la carte.

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Il a aussi pris l’exemple de cette carte de la situation de l’Afrique.

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La cartographie radicale prétend aussi se détacher (sinon oublier) les conventions cartographiques pour inventer de nouvelles cartes. Ce n’est cependant pas la position de Philippe Rekacewicz qui reconnait que ces conventions, pour imparfaites qu’elles soient (la mer en bleu, les flux par des flèches…) permettent aux carte d’être lues, ce qui est tout de même leur raison d’exister ! Cependant il nous a parlé assez longuement des rapports entre l’art et la cartographie, en rappelant par exemple que les conventions cartographiques (l’usage du point, de la ligne et de la surface) sont nées des travaux de Kandinsky en 1923 dans son essai Point et Ligne sur plan. Il nous a montré une « carte » qui n’en est presque plus une.

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Et la maquette d’une installation sur le revenu de la famille Walton, détentrice de la chaîne de grands magasins Walmart.

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Toujours sur l’art, il a évoqué des artistes ayant brouillé les codes de la cartographie jusqu’à la rendre peu lisible comme on peut le voir dans le dossier de presse d’une exposition de 2012 ci-dessous.

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Il a terminé en nous montrant quelques minutes de l’oeuvre vidéo d’un artiste dont j’ai déjà parlé ici.

TILL ROESKENS: VIDEOMAPPINGS: AIDA, PALESTINE from Lowave on Vimeo.

Enfin, comme le montre cet exemple, la cartographie radicale intègre aussi une dimension sensible, voulant traduire les perceptions spatiales des individus en cartes. Je n’ai pas retrouvé les exemples des familles résidant à La Villette qu’il a utilisé lors de la conférence mais à la place je vous redonne le résultat d’un passionnant travail de cartographie dont j’ai parlé ici.

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Représenter l’univers d’une femme marocaine à travers une carte sensible. from Elise Olmedo on Vimeo.

Pour ceux que cela intéresse, voici le passage de Terre des hommes de Saint – Exupéry cité en conclusion par Philippe Rekacewicz :

« Guillaumet ne m’enseignait pas l’Espagne, il me faisait de l’Espagne une amie. Il ne me parlait ni d’hydrographie, ni de population, ni de cheptel, il ne me parlait pas de Guadix, mais des trois orangers qui, près de Guadix, bordent un champ : “Méfie-toi d’eux, marque-les sur ta carte…” Et les trois orangers y tenaient désormais plus de place que la sierra Nevada. Il ne me parlait pas de Lorca, mais d’une simple ferme près de Lorca. D’une ferme vivante. Et de son fermier et de sa fermière. Et ce couple prenait, perdu dans l’espace, à quinze cents kilomètres de nous, une importance démesurée. Bien installés sur le versant de leur montagne, pareils à des gardiens de phare, ils étaient prêts, sous leurs étoiles, à porter secours à des hommes. Nous tirions ainsi de leur oubli, de leur inconcevable éloignement, des détails ignorés de tous les géographes du monde. »

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Après la conférence, nous avons été conviés à un atelier de cartographie « radical ». En fait, il nous a été proposé de réaliser la carte de notre espace vécu ou bien de notre représentation du monde. Voici le résultat du travail de ma femme et de moi-même.

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Je ne regrette pas d’être allé à cette conférence et d’avoir découvert l’association Echelle Inconnue dont la démarche artistique et réflexive m’a paru très intéressante. Je vous donne ci-dessous le programme de leur Doctorat Sauvage en Architecture.

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