De la difficulté de définir et de délimiter le Moyen – Age

Jacques Le Goff n’aime pas le terme « Moyen – Age », apparu au XIVe siècle sous la plume de l’humaniste italien Pétrarque sous la forme « Medium tempus ». Il regrette, en français, l’évolution dépréciative du mot « moyen » et le mépris pour cette période de l’histoire au XVIIIe et XIXe siècle.

Il fait remonter à l’historien des arts Burckhardt la périodisation que nous utilisons encore, et que collégiens et lycéens apprennent par coeur. Le Moyen – Age commencerait en 476 avec la fin de l’empire romain d’Occident (le sac de Rome par les Hérules) et s’achèverait en 1453 avec la fin de l’empire romain d’Orient (le sac de Byzance par les Turcs). Mais il conteste et trouve ridicule cette délimitation.

Jacques Le Goff préfère parler d’une civilisation de l’Occident médiéval : « nous sommes face à une civilisation ; face à un corps d’une forte cohérence. Cela s’organise à partir des VIe et VIIe siècles, se parachève autour du XIIIe siècle pour se défaire peu à peu au fil des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. Je préfère d’ailleurs ce mot de corps, très médiéval, à celui de système. Les façon de sentir et de penser, chères à Marc Bloch (…), la perception de l’espace et du temps supposent, sur cette longue période, l’adhésion commune à une conception du monde. » (page 94)

« Cette civilisation se veut une chrétienté, voire le plus souvent « la » Chrétienté – oubliant comme d’habitude l’Eglise d’Orient. Un océan la borde à l’Ouest, qui ne mène nulle part. Vers l’Est et le Sud se trouvent des religions différentes, hostiles et, au fond, païennes. L’Occident médiéval n’a, de surcroît, aucun projet de conquête, contrairement au monde musulman. 
Comme son nom l’indique, la Reconquista espagnole est, en effet, une « reconquête », une ré-appropriation. Même chose pour les Croisades. Les Occidentaux – que les Byzantins nomment Francs et les musulmans Roumis (Romains) – ne prétendent pas conquérir de nouveaux domaines. Ils croient se réinstaller sur la terre des origines : la Palestine leur semble tout aussi naturellement chrétienne que Rome. Si Byzance paraît à beaucoup une ville étrangère, il n’en va pas de même pour Jérusalem, où mourut et ressuscita le Christ. Et Jérusalem, les cartes erronées le montrent à l’envi, se trouve au centre du monde. » (pages 114 – 115)

« Politiquement, on peut penser que le Moyen Age s’achève au cours des guerres de Religion. Le principe célèbre : cujus regio, ejus religion ( à lieu – dit, religion – dite), ne fait certes qu’entériner une habitude médiévale. Un lieu, un seigneurs, des coutumes. »
(…)
« En revanche, un mot apparaît : celui de religion. Il est absolument étranger au Moyen Age. Tout était religion. (…) L’acceptation actuelle du mot remonte au XVIe siècle. Cette émergence du concept de religion marque – elle – une véritable rupture puisqu’elle invite à se penser éventuellement hors de la religion, considérée comme un phénomène relatif, du moins mis à distance. On peut « choisir ».
En tant que « vision du monde », le Moyen Age persiste au contraire dans les deux camps. Il ne se défait qu’avec l’essor de l’esprit scientifique, à partir de Copernic (1473 – 1543) et jusqu’à Newton (1642 – 1727). Si l’on considère, enfin, la technologie et la vie sociale, le Moyen Age dure jusqu’au XVIIIe siècle. Il cède alors progressivement la place  à la révolution industrielle, quand s’accentue la rupture avec l’économie rurale. l’émergence de la notion de marché, la prise de conscience de phénomènes spécifiquement économiques annoncent un basculement. » (pages 59 – 60)

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